Page:Plotin - Ennéades, t. I.djvu/133

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
CXXVIII
SOMMAIRES.

(XI-XII) Pour composer les corps, il ne suffit pas de la quantité et des qualités ; il faut encore un sujet qui les reçoive. Ce sujet, c’est la matière première, qui n’a point d’étendue. Elle n’est point, comme on l’a avancé, la quantité séparée des qualités. Elle possède l’existence, quoique son existence ne soit pas claire pour la raison ni saisissable par les sens.

(XIII-XIV) Si la matière n’est pas la quantité, elle n’est pas non plus une qualité commune à tous les éléments. On ne saurait d’ailleurs regarder comme une qualité la privation, qui est l’absence de toute propriété. La matière n’est pas l’altérité, mais seulement une disposition à devenir les autres choses. Elle n’est pas non plus le non-être, mais seulement le dernier degré de l’être.

(XV-XVI) La matière n’est pas l’infini par accident ; elle est l’infini même, dans le monde intelligible comme dans le monde sensible. Cet infini, qui constitue la matière, procède de l’infinité de l’Un ; mais entre l’infini de l’Un et l’infini de la matière il y a cette différence que le premier est l’infini idéal et le second l’infini réel. Ce caractère d’infini se concilie fort bien dans la matière avec la privation de toute quantité et de toute qualité.

Étant privée de la forme, qui est la source de toute beauté et de toute bonté, la matière est par cela même laide et mauvaise[1].

En résumé, dans le monde intelligible, la matière est l’être parce que ce qu’il y a au-dessus d’elle, l’Un, est supérieur à l’être ; dans le monde sensible, la matière est le non-être, parce que ce qu’il y a au-dessus d’elle, l’Essence ou la Forme, est l’être véritable.


LIVRE V.
DE CE QUI EST EN PUISSANCE ET DE CE QUI EST EN ACTE[2].

Ce livre se rattache au précédent parce que Plotin y traite encore de la matière, qu’il considère comme la puissance de devenir toutes choses.

  1. Voy. Enn. I, liv. vi, viii.
  2. Pour les Remarques générales sur ce livre, Voy. les Notes, p. 486. Dans ses Meletemata plotiniana (p. 31), K. Steinhart signale fort bien l’importance de ce livre : « Aristoteles, ad rerum vires et mutationes attendens, invenerat discrimen potentiœ et efficaciœ, materiæ et formæ discrimini non dissimile : nam quidquid fleri potest, materiam nominaverat ; efficaciam vero illam, qua vere aliquid fit, formœ assignaverat. Hoc discrimen nullum esse in mente æterna, quæ omnia semper efficiat quæ facere possit, et ipsam animæ vitam non, ut res inanimas, ab aliis rebus moveri atque impeili, sed suo motu efficacem esse et potentiam suam agendo perpetuo exserere jam Aristoteles viderat. Plotinus librum exigui voluminis, sed gravissimi argumenti, de his notionibus scripsit, quo diversas earum formas exposuit et ostendit in ipsa mente esse quidem et vim agendi et ipsam actionem, sed utramque cogitatione tantum discerni, vere non esse diversas. Eo magis admiramur quod Plotinum ita ab uberrima illa notione proprii et efficacis animæ motus, quem Aristoteles entelecheiam nominaverat (quoverbo indica-