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CXVIII
SOMMAIRES.

(VII-X) On ne pent appliquer au bonheur lea divisions du temps, parce que le bonheur consiste dans la vie intellectuelle, dont l’essence est l’éternité, c’est-à-dire un présent perpétuel. Il en résulte que le souvenir d’actes vertueux ne saurait influer sur notre condition. En effet, le bonheur ne dépend pas des belles actions, mais des dispositions de l’âme, de sa sagesse et de la concentration de son activité en elle-même[1].


LIVRE SIXIÈME.
DU BEAU[2].

Le but de ce livre est de montrer comment, par la vue du Beau, on peut, en purifiant l’âme et en la séparant du corps, s’élever du monde sensible au monde intelligible et contempler le Bien, qui est le principe du Beau[3].

(§ I-III) La beauté ne consiste pas dans la proportion ni dans la symétrie, comme l’enseignent les Stoïciens[4], mais dans l’idée, la forme ou la raison. Un corps est beau quand il participe à une idée, quand il reçoit du monde intelligible une forme et une raison, quand les parties qui le composent sont ramenées à l’unité. À l’aspect de ce corps, l’âme reconnaît l’image visible de la forme invisible qu’elle porte en elle-même, et elle éprouve un sentiment de sympathie pour la beauté qui frappe ses sens.

(IV-VI) Au-dessus des objets sensibles, qui ne sont beaux que par participation, existent les objets intelligibles, qui sont beaux par eux-mêmes : telles sont la vertu et la science, dont la contemplation inspire des sentiments d’amour et d’admiration. C’est que, par le vice et l’ignorance, l’âme s’éloigne de son essence et tombe dans la fange de la matière, tandis que, par la vertu et la science, elle se purifie des souillures qu’elle avait contractées dans son alliance avec le corps, et elle s’élève à l’intelligence divine, de laquelle elle tient toute sa beauté.

(VII-IX) En examinant à quel principe chaque être doit la forme qui constitue sa beauté, on remonte du corps à l’âme, de l’âme à l’Intelligence divine, et de l’Intelligence divine au Bien. En effet, c’est au Bien que tout aspire, c’est du Bien que tout dépend, que tout tient la vie et la pensée ; c’est lui qui, tout en demeurant immobile en lui-même, fait participer à sa perfection les êtres qui le contemplent. Pour avoir l’intuition de cette Beauté ineffable, auprès de laquelle tous les biens de la terre ne sont rien, il faut détourner nos regards des choses sensibles, qui n’offrent que de pâles images des essences intelligibles, et retourner dans la région qu’habite notre Père. Pour atteindre ce but, nous devons rentrer en nous-mêmes, purifier notre âme par la vertu et l’orner par la science ; puis, après avoir rendu notre âme semblable à l’objet qu’elle aspire à contempler, nous élever à l’Intelligence divine, en qui résident les idées ou formes intelligibles : alors, au-dessus de l’Intelligence divine, nous rencontrerons le Bien, qui fait rayonner autour de lui la souveraine Beauté[5].

  1. Cette fin paraît dirigée contre la théorie d’Aristote (p. 419-420).
  2. Pour les Remarques générales et les Éclaircissements sur ce livre, Voy. les Notes, p. 421.
  3. Voy. ibid., p. 421-422.
  4. Voy. M. Ravaisson, Sur le Stoïcisme, (Mém. de l’Acad. des Inscriptions et Belles-Lettres, t. XXI, p. 42.)
  5. Les emprunts que Plotin a faits ici à Platon sont indiqués dans les Notes, p.422-424. Pour la théorie des trois hypostases rappelée ici par Plotin, Voy. p. 321.