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CXI
PREMIÈRE ENNÉADE, LIVRE I.

(II) Les passions et les sensations n’appartiennent : 1o ni à l’âme pure, parce que, possédant par elle-même une activité innée, l’âme pure est impassible[1] ; 2o (III-V) ni au composé de l’âme raisonnable et du corps organisé, parce que, si l’âme raisonnable est avec le corps dans le même rapport que l’artisan avec son instrument ou que le pilote avec le navire, les passions ne peuvent passer du corps dans l’âme raisonnable, qui en est la forme séparable, et qui, par conséquent, tout en étant présente au corps, y demeure impassible comme l’est la lumière répandue dans l’air[2], en sorte qu’elle n’éprouve pas les mêmes passions que le corps, ni des passions analogues ; 3o (VI) ni au corps organisé seul, si l’on admet que les facultés qui s’y rapportent ne ressentent pas ses passions.

(VII) Le seul moyen de résoudre les difficultés précédentes, c’est de reconnaître qu’il y a dans l’âme humaine trois parties, l’âme irraisonnable, l’Âme raisonnable et l’Intelligence.

1o Âme irraisonnable. — Pour expliquer la communication de l’âme raisonnable, qui est impassible, avec le corps organisé, qui pâtit, il faut admettre que de l’âme raisonnable émane une puissance inférieure, l’âme irraisonnable : par sa présence dans le corps organisé, l’Âme irraisonnable constitue l’animal ; c’est à elle qu’appartiennent les passions ainsi que les sensations[3].

Il y a d’ailleurs dans la sensation deux éléments : la sensation extérieure ou passion, qui résulte de l’impression faite par l’objet extérieur sur l’organe, et qui appartient à l’âme irraisonnable ; la sensation intérieure, qui est la perception de la passion, de la représentation sensible, et qui appartient à l’âme raisonnable.

2o Âme raisonnable. — La sensation intérieure, l’imagination intellectuelle, l’opinion et la raison discursive, sont les facultés de l’Âme raisonnable et constituent essentiellement l’Homme[4].

3o Intelligence. — La pensée intuitive appartient à l’Intelligence, à laquelle la raison discursive emprunte ses principes[5].

(VIII) Considéré dans ses rapports avec les trois hypostases divines (Dieu en l’Un, l’Intelligence suprême, et l’Âme universelle), l’homme, par l’unité qui fait le fond de son être, se rattache à Dieu, à l’Un, qui plane sur le monde intelligible ; par son intelligence, il entre en rapport avec l’Intelligence suprême dont il tient ses idées ; par l’essence de son âme, qui est tout à la fois indivisible et divisible (indivisible, en tant qu’elle est âme raisonnable ; divisible, en tant qu’elle est âme irraisonnable, en rapport avec les organes), il participe à l’essence de l’Âme universelle, qui est elle-même tout à la fois indivisible et divisible (indivisible, en ce qu’elle est une dans l’univers et qu’elle reste en elle-même tout en répandant partout la vie ; divisible, en ce qu’elle est la Puissance naturelle et génératrice, de laquelle procèdent les âmes sensitives et végétatives ou raisons séminales qui animent tous les corps vivants[6]).

  1. Dans un fragment de son traité De l’Âme, Jamblique cite en ces termes la fin du § 2 de ce livre : « Plotin enlève à l’âme les facultés irrationnelles, la sensation, l’imagination, la mémoire, le raisonnement. La raison pure est la seule faculté qu’il attribue à l’essence pure de l’âme et qu’il regarde comme conforme à la nature de cette essence. » (Stobée, Eclogœ physicœ, I, 52 ; p. 881, éd. Heeren.)
  2. Voy. Rapports de l’âme avec le corps, p. 355-361.
  3. Voy. Âme irraisonnable, p. 324 ; Nature animale, p. 362-377.
  4. Voy. Âme raisonnable, p. 325-326.
  5. Voy. Intelligence, p. 326-328, 344-352.
  6. Voy. Théorie des trois hypostases divines, p. 320-323 ; Rapports de l’âme humaine avec les trois hypostases divines, p. 329-330 ; Rapprochement entre la doctrine de Plotin et celle de Platon, p. 367. L’opinion que nous avons émise dans ce dernier éclaircissement sur la manière dont Plotin interprète un passage du Timée est complètement d’accord avec celle de K. Steinhart : « Plerumque Plotinus, quum de animæ natura exponit, ea sequitur quæ Plato in Timœo docuerat. Sic, quum ibi invenisset Deum ex duabus diversis naturis, quarum una non possit in partes discedere, altera circum corpora divisa ac distributa sit, tertiam aliquam miscuisse et composuisse, in medio inter puram mentem et corpora loco collocatam, hoc divinum a Platone propositum ænigma judicat et ita recte explicat, ut dicat Animam universi esse istam compositam naturam : hanc enim in partes videri quidem divisam et in corpora dispersam, sed vere non esse divisam, neque, etsi infinitam singularium animarum complectatur multitudinem et varietatem, ipsam in multitudinem dilabi, sed unam esse in multis corporibus vires suas diversis modis ac formis exserentem. » (Meletemata plotiniana, p. 16.)