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CIII
TRAITÉ DU BIEN.

elles proviennent[1] ; qui, en servent à l’un, ne font souffrir nul préjudice à l’autre ; qui, au contraire, servent à celui-là même qui les donne, en le faisant ressouvenir de ce qu’il oubliait. C’est là la vraie richesse, la belle science, qui sert à qui la reçoit, sans abandonner qui la donne. De même vous voyez un flambeau allumé à un autre flambeau, recevant la lumière sans que celui-ci la perde, mais seulement parce que la matière du premier s’est embrasée au feu du second[2]. Telle est encore la science qui reste à celui qui la donne, et pourtant passe, identique, à celui qui la reçoit. La cause d’un tel phénomène n’a rien d’humain. Elle consiste en ce que l’essence qui possède le savoir est la même en Dieu qui la donne et en toi et en moi qui la recevons. « La sagesse, dit Platon, est un présent fait aux hommes par les dieux, apporté d’en haut par Prométhée avec le feu étincelant[3]. »

Ainsi le premier Dieu est immobile, le second se meut ; l’un ne contemple que l’intelligible, l’autre regarde l’intelligible et le sensible. Ne soyez pas étonné que j’aie ainsi parlé : car j’ai à dire quelque chose de plus étonnant encore. Tandis que le second Dieu est en mouvement, le premier Dieu reste dans une immobilité que j’appellerai un mouvement inné. C’est ce mouvement qui est le principe de l’ordre, de la conservation et de la perpétuité de l’univers…

Comme Platon savait que le Démiurge seul était connu des hommes, tandis que le premier Dieu, qu’il appelle l’intelligence, leur était inconnu, il s’est exprimé sur ce sujet en des termes qui reviennent à dire : « Ô hommes, l’intelligence que vous soupçonnez n’est pas la première intelligence ; il en est une autre plus ancienne et plus divine. ».

Le pilote, ballotté en pleine mer, assis au-dessus du gouvernail, dirige le navire, appuyé sur la barre. Ses regards et son intelligence sont tournés vers les astres et poursuivent leur course dans le ciel, pendant que lui-même traverse les mers. De même, le Démiurge, afin de ne pas briser la matière, ou pour qu’elle ne le brise pas elle-même, après qu’il l’a unie par les liens de l’harmonie, s’y

  1. Cette idée, qui paraît empruntée à Philon, comme M. Ravaisson l’explique t. I, p. 365-368), est un des principes fondamentaux de la doctrine exposée dans les Ennéades de Plotin. Voy. Enn. V, liv. i, § 6. Voy. aussi Porphyre, Principes de la théorie des intelligibles, § xxvii, p. lviii.
  2. Sur l’origine de cette comparaison, Voy. M. Ravaisson, t. II, p. 267, note.
  3. Voy. Platon, Philèbe, p. 16 de l’éd. d’H. Étienne, t. II, p. 304 de la trad. de M. Cousin.