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CII
FRAGMENTS DE NUMÉNIUS.

sion. Le second Dieu est un en lui même, mais il se laisse emporter par la matière, qui est la dyade[1] ; s’il l’unit, elle le divise, parce que la nature de la matière est de désirer et d’être dans un écoulement continuel[2]. Tant qu’il contemple l’intelligence, il demeure immobile en lui-même ; mais lorsqu’il abaisse ses regards sur la matière et qu’il s’en occupe, il s’oublie lui-même : il s’attache au sensible, il l’orne et il contracte quelque chose des qualités de la matière avec laquelle il a désiré entrer en rapport[3]

Le premier Dieu ne remplit aucune fonction démiurgique ; il est seulement le père du Démiurge. Si, examinant la question du Démiurge, nous affirmons que le premier Dieu préexiste et que c’est ainsi qu’il peut exercer un pouvoir suprême, ce début n’aura rien que de convenable. Si, au lieu de nous occuper du Démiurge, nous cherchions à déterminer la nature du premier Dieu, je n’oserais aborder un pareil sujet. Je le passerai donc sous silence et je prendrai un autre début pour mon discours. Mais auparavant, nous ferons la déclaration suivante : le premier Dieu ne fait aucune œuvre et il est vraiment Roi, tandis que le Dieu qui gouverne tout, en parcourant le ciel, n’est que Démiurge. C’est pourquoi nous participons à l’intelligence quand elle descend et se communique à tous les êtres qui peuvent la recevoir. Pendant que Dieu [le Démiurge] nous regarde et se tourne vers chacun de nous, il arrive que la vie et la force se répandent dans nos corps échauffés de ses rayons ; mais, s’il se retire dans la contemplation de soi-même, tout s’éteint, tandis que l’intelligence continue de vivre et jouit d’une existence bienheureuse…

Il y a le même rapport entre le premier Dieu et le Démiurge qu’entre celui qui sème et celui qui cultive. L’un, étant la semence de toute âme, répand ses germes dans toutes les choses qui participent de lui. L’autre, en législateur, cultive, distribue et transporte dans chacun de nous les semences qui proviennent du premier Dieu…

Toutes les choses qui passent à celui qui les reçoit en quittant celui qui les donne ressemblent aux esclaves, aux richesses, à l’argent ciselé ou monnayé : ce sont des choses périssables et humaines. Les choses divines sont celles qui, lorsqu’on les donne, restent là d’où

  1. Voy. p. 213, note 1.
  2. Voy. p. 145, note 1.
  3. Les deux Dieux de Numénius paraissent correspondre aux hypostases que Plotin nomme l’Intelligence divine et l’Âme universelle, et qu’il place au-dessous du Bien. Voy. les Notes p. 311.