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XCVI
FRAGMENTS D’AMMONIUS.

l’âme est la vie, si elle changeait dans son union avec le corps, elle deviendrait autre chose et elle ne serait plus la vie. Que procurerait-elle donc au corps si elle ne lui donnait pas la vie ? L’âme ne subit donc pas d’altération dans son union[1].

Puisqu’il est démontré que l’intelligible est immuable dans son essence, il en résulte nécessairement qu’il ne s’altère pas en même temps que les choses auxquelles il est uni. L’âme est donc unie au corps, mais elle ne forme pas un mixte avec lui[2]. La sympathie qui existe entre eux montre qu’ils sont unis : car l’être animé tout entier est un tout sympathique à lui-même et par conséquent véritablement un[3].

Ce qui montre que l’âme ne forme pas un mixte avec le corps, c’est qu’elle a le pouvoir de se séparer de lui pendant le sommeil ; qu’elle le laisse comme inanimé, en lui conservant seulement un souffle de vie, afin qu’il ne meure pas tout à fait ; et qu’elle ne se sert que de son activité propre dans les songes, pour prévoir l’avenir et pour vivre dans le monde intelligible.

Cela paraît encore quand elle se recueille pour se livrer à ses pensées : car, alors, elle se sépare du corps autant qu’elle le peut, et elle se retire en elle-même afin de pouvoir mieux s’appliquer à la considération des choses intelligibles[4]. En effet, étant incorporelle, elle s’unit au corps aussi étroitement que sont unies les choses qui en se combinant ensemble périssent l’une par l’autre [et donnent ainsi naissance à un mixte] ; en même temps, elle demeure sans altération, comme demeurent deux choses qui ne sont que juxtaposées, et elle conserve son unité ; enfin, elle modifie selon sa vie propre ce à quoi elle est unie, et elle n’en est pas modifiée[5]. De même que le soleil, par sa présence, rend tout l’air lumineux sans changer lui-même en rien, et de la sorte s’y mêle pour ainsi dire sans s’y mêler ; de même l’âme, tout en étant unie au corps, en demeure tout à fait distincte[6]. Mais il y a cette différence que le soleil, étant un corps, et par conséquent

  1. M. Vacherot suppose que la citation d’Ammonius faite par Némésius s’arrête ici. Nous croyons avec M. Ravaisson qu’elle ne finit qu’aux mots : « Cette expression serait plus juste si on l’appliquait à l’union du Verbe divin avec l’homme… » — Dans ce passage et dans les lignes suivantes, nous avons fait quelques changements à l’estimable traduction de M. Thibault pour rendre avec plus d’exactitude les termes techniques propres à la doctrine néoplatonicienne.
  2. Voy. l’extrait de Plotin cité p. 356 de ce volume.
  3. Voy. Enn. II, liv. III, § 5, p. 173.
  4. Voy. les Notes, p. 348.
  5. Voy. le passage de Porphyre cité plus haut, p. LXXVII, note 1.
  6. Voy. l’extrait de Plotin cité p. 359-360.