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LETTRES DE PLINE. LIV. I.

celui-là m’a fait appeler à une consultation. Chacune de ces occupations, le jour qu’on s’y est livré, a paru nécessaire : mais quand on vient à réfléchir que c’est ainsi que se sont passées toutes les journées, on y trouve bien de l’inutilité, surtout lorsqu’on y réfléchit dans la retraite. Alors vous ne pouvez vous empêcher de vous dire : « À quelles bagatelles ai-je perdu mon temps ! » C’est ce que je répète souvent dans ma maison de Laurentin, où mes momens sont incessamment occupés par la lecture, par la composition, ou même par les exercices du corps, dont la bonne disposition influe tant sur les opérations de l’esprit. Je n’entends, je ne dis rien, que je me repente d’avoir entendu et d’avoir dit. Personne, devant moi, n’ose se permettre de malins discours sur qui que ce soit[1]. Je ne censure personne, si ce n’est moi-même[2] quand ce que je compose n’est pas à mon gré. Point de désirs, point de craintes qui me tourmentent, point de bruits fâcheux à redouter. Je ne m’entretiens qu’avec moi et avec mes livres. Ô l’agréable, ô l’innocente vie[3] ! Que cette oisiveté est douce ! qu’elle est honorable, et préférable même aux plus illustres emplois[4] ! Mer, rivage, mes vrais cabinets d’étude, que ne vous doit pas l’imagination ! que de pensées n’inspirez-vous pas ! Voulez-vous m’en croire, mon cher Fundanus, fuyez les embarras de la ville ; rompez au plus tôt cet enchaînement de soins frivoles qui vous y attachent ; livrez-vous à l’étude ou au repos ; et songez au mot si spirituel et si plaisant de notre ami Attilius : Il vaut infiniment mieux ne rien faire, que de faire des riens. Adieu.

  1. N’ose se permettre, etc. De Sacy avait fait ici un contresens, signalé par Rollin : il traduisait : Personne ne m’y fait d’ennemis par de mauvais discours.
  2. Si ce n’est moi-même. Dans l’édition jointe à la traduction de De Sacy, au lieu de nisi unum me, il y a nisi tamen me. J’ai suivi l’édition de Schæfer. Au reste, ce changement est peu important.
  3. Ô l’agréable, ô l’innocente vie ! J’ai suivi le texte de l’édition romaine d’Heusinger.
  4. Et préférable même, etc. Rollin fait remarquer que le latin n’est pas si décisif : il y a presque préférable. « En effet, ajoute Rollin, est-il bien vrai que la douceur du repos soit toujours préférable aux emplois publics qui sont extrêmement pénibles et laborieux ? Si cette maxime avait lieu, que deviendrait l’état ? »