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VIE DE PLINE LE JEUNE

qui n’éprouvassent sa douceur et sa modération. Loin des sentimens de la plupart des maîtres, qui regardent leurs domestiques avec plus de mépris que s’ils étaient, non pas d’une condition, mais d’une espèce différente de la leur, il ne voyait en eux que des hommes, d’autant plus dignes de bonté, qu’ils étaient plus malheureux. Il vivait au milieu d’eux avec la noble familiarité d’un père qui se communique à ses enfans, et qui cherche bien moins à s’en faire craindre, qu’à s’en faire aimer. Il croyait que le nom de père de famille, que les lois donnent aux maîtres, l’avertissait sans cesse de ses devoirs, et que ces devoirs devaient s’étendre également sur tous ceux qui composaient la famille. Toujours prêt à les excuser, s’ils avaient manqué, toujours prêt à leur pardonner, dès qu’ils se repentaient, il ne croyait point que, parce que les domestiques sont plus mal élevés et plus faibles, les maîtres eussent droit d’en attendre plus de lumières et de sagesse qu’ils n’en ont eux-mêmes. Leurs maux le touchaient ; tous leurs besoins le trouvaient attentif ; leur perte l’affligeait. Enfin, il traitait à table ses affranchis comme il se traitait lui-même ; et, pour s’excuser à ceux qui lui en faisaient la guerre, il disait avec son enjouement ordinaire, que ses affranchis ne buvaient pas du même vin que lui ; mais qu’il buvait du même vin que ses affranchis.

Dans une fortune médiocre, pour un homme de sa condition, il trouva le secret d’être excessivement libéral, non pas en prenant sur les uns ce qu’il donnait aux autres, mais en prenant sur lui tout ce que la modestie et la frugalité lui conseillaient de se refuser. Ainsi voyant Calvina, qu’il avait en partie dotée de son bien, sur le point de renoncer à la succession de Calvinus son père,