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LETTRES DE PLINE. LIV. III.
XX.
Pline à Maxime.

Vous avez lu souvent (vous devez vous en souvenir) quels troubles excita la loi qui créait le scrutin secret pour l’élection des magistrats, quels applaudissemens, quels reproches elle attira d’abord à son auteur[1]. Cependant le sénat vient de l’adopter sans contradiction, comme une mesure fort sage[2]. Le jour des comices, chacun a demandé le scrutin. Il faut avouer que la coutume de donner son suffrage à haute voix avait banni de nos assemblées toute bienséance. On ne savait plus ni parler à son rang, ni se taire à propos, ni se tenir en place. C’était partout un bruit confus de clameurs discordantes. Chacun courait de toute part avec les candidats qu’il protégeait. Des groupes tumultueux, formés en vingt endroits, présentaient la plus indécente image du désordre ; tant nous nous étions éloignés des habitudes de nos pères, chez qui l’ordre, la modestie, la tranquillité répondaient si bien à la majesté du lieu, et au respect qu’il exige !

Plusieurs de nos vieillards m’ont souvent fait le tableau des anciennes comices. Celui qui se présentait pour une charge, était appelé à haute voix. Il se faisait un profond silence. Le candidat prenait la parole. Il rendait compte de sa conduite, et citait pour témoins et pour garans, ou celui sous les ordres de qui il avait porté les armes, ou celui dont il avait été questeur, ou, s’il le pouvait, l’un et l’autre ensemble. Il nommait quelques-uns de ses protecteurs. Ceux-ci parlaient en sa fa-

  1. La loi qui créait, etc. « Anciennement les citoyens romains donnaient leur opinion de vive voix : s’ils approuvaient, ils répondaient à la demande qui leur était faite : Uti rogas, ou bien, volo, jubeo ; et, s’ils la rejetaient, antiquo. Dans les derniers temps, pour protéger la liberté des suffrages, il y eut des lois qui substituèrent à ce mode celui du scrutin secret. Ces lois, qu’on appela leges tabellariæ, furent au nombre de quatre. Elles décrétèrent que les votes seraient donnés par bulletins (tabellæ), et c’est de là que vint leur nom. La première, rendue en l’an de Rome 604 sur la proposition de Gabinius, tribun du peuple (Lex Gabinia tabellaria), décida que le mode de voter par bulletins serait employé dans les élections des magistrats. Deux ans après, une loi du tribun Cassius la fit adopter dans tous les jugemens, excepté ceux du crime de perduellion (Lex tabellaria Cassia). Ensuite, sur la proposition de Papirius (an de Rome 622), on décréta que les lois seraient votées de la même manière, et que les citoyens recevraient deux bulletins, l’un marqué des deux lettres U. R. (uti rogas), l’autre portant la lettre A. (antiquo). Enfin, une loi de Cælius institua cet usage pour tous les jugemens sans exception. Cicéron honore ces quatre lois du titre de gardiennes de la liberté des consciences, vindices tacitæ libertatis. » Poncelet, Histoire du droit romain.
  2. Le sénat, etc. Les comices avaient été transportées du Champ de Mars dans le sénat, sous le règne de Tibère. (Voyez Tacite, Ann. i, 15).