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LETTRES DE PLINE. LIV. III.

aura donc encore cette gloire, que l’on y verra ces harangues, odieuses naguère parce qu’elles étaient fausses, devenir agréables à tous en même temps que sincères. Quant à moi, je n’ai pas été moins charmé du goût de mes auditeurs, que de leur empressement. Je me suis aperçu que les endroits les moins fleuris plaisaient autant et plus que les autres. Il est vrai que je n’ai lu qu’à peu de personnes cet ouvrage fait pour tout le monde : cependant cette approbation éclairée me flatte singulièrement ; elle semble me répondre de celle du public. N’avons-nous pas vu, pendant quelque temps, l’adulation enseigner à mal chanter sur nos théâtres ? pourquoi n’espérerais-je pas que, grâce à des temps plus heureux, les mêmes théâtres vont enseigner à bien chanter[1] ? Oui, ceux qui n’écrivent que pour plaire, se régleront toujours sur le goût général. À la vérité, j’ai cru pouvoir en un tel sujet laisser courir ma plume avec une sorte de liberté, et j’ose même dire que ce qu’il y a de sérieux et de serré dans mon ouvrage, paraîtra moins naturellement amené que ce que j’ai écrit avec enjouement et avec verve. Je n’en souhaite pas moins que ce jour vienne enfin (et fût-il déjà venu !), où le style mâle et nerveux bannira pour jamais le style agréable et joli des sujets même où il règne le plus légitimement[2].

Voilà ce que j’ai fait pendant trois jours. Je ne veux pas que votre absence vous dérobe rien des plaisirs que votre amitié pour moi et votre inclination pour les belles-lettres vous eussent donné, si vous aviez été présent. Adieu.


  1. N’avons-nous pas vu pendant quelque temps, etc. C’est une allusion au règne de Néron, qui se piquait de chanter, et qui chantait mal. Il fallait former son chant sur le sien et l’approuver. D. S.
  2. Le style agréable et joli, etc. Il ne s’agit pas, comme le veut De Sacy, de style mou et efféminé. L’auteur oppose les ornemens égayés du style à la force et à l’austérité du langage : dulcia et blanda sont expliqués par tout ce qui précède ; ils représentent la même idée que lætioris, que hilarius, que exsultantius, etc.