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LETTRES DE PLINE. LIV. III.

manger, qui l’habillent, qui le chaussent : seule, je lui rendrai tous ces services. Les soldats furent inexorables : alors Arria loue une barque de pêcheur, et, sur ce léger esquif, se met à suivre le grand vaisseau. Arrivée à Rome, elle rencontre dans le palais de l’empereur la femme de Scribonien, qui révélait les complices, et qui voulut lui parler. Que je t’écoute, lui dit-elle, toi qui as vu tuer ton mari entre tes bras, et qui vis encore ! Il est aisé de juger par là qu’elle s’était décidée long-temps d’avance à sa glorieuse mort. Un jour Thraséas, son gendre, la conjurait de renoncer à la résolution de mourir : Vous voulez donc, lui dit-il entre autres choses, si l’on me force à quitter la vie, que votre fille la quitte avec moi ? — Oui, répondit-elle, je le veux, quand elle aura vécu avec vous aussi long-temps, et dans une aussi parfaite union que j’ai vécu avec Pétus. Ces paroles avaient redoublé l’inquiétude de toute sa famille. On l’observait avec plus d’attention : elle s’en aperçut. Vous perdrez votre temps, dit-elle. Vous pouvez bien faire que je meure d’une mort plus douloureuse ; mais il n’est pas en votre pouvoir de m’empêcher de mourir. En achevant ces paroles, elle s’élance de sa chaise, va se frapper la tête avec violence contre le mur, et tombe sans connaissance. Revenue à elle-même, je vous avais avertis, dit-elle, que je saurais bien aller à la mort par les routes les plus pénibles, si vous me fermiez les plus douces. Ces traits ne vous paraissent-ils pas plus héroïques encore, que le Pétus, cela ne fait pas de mal, auquel d’ailleurs ils conduisent naturellement ? Tout le monde parle de ce dernier trait ; les autres sont inconnus. Je conclus, ce que je disais en commençant, que les plus belles actions ne sont pas toujours les plus célèbres. Adieu.