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LETTRES DE PLINE. LIV. III.

Son mari[1] et son fils étaient en même temps attaqués d’une maladie, qui paraissait mortelle. Le fils mourut : c’était un jeune homme d’une beauté, d’une modestie ravissantes, et plus cher encore à son père et à sa mère par de rares vertus, que par le nom de fils. Arria fît préparer et conduire ses funérailles avec tant de mystère, que le père n’en sut rien. Toutes les fois qu’elle entrait dans la chambre de son mari, elle lui faisait croire que leur fils était vivant, que même il se portait mieux : et comme Pétus insistait souvent pour savoir en quel état il se trouvait, elle répondait qu’il n’avait pas mal dormi, qu’il avait mangé avec assez d’appétit. Enfin, lorsqu’elle sentait qu’elle ne pouvait plus retenir ses larmes, elle sortait ; elle s’abandonnait à sa douleur ; et, après l’avoir soulagée, elle rentrait les yeux secs, le visage serein, comme si elle eût laissé son deuil à la porte. Ce qu’elle fit en mourant est bien grand sans doute : il est courageux de prendre un poignard, de l’enfoncer dans son sein, de l’en tirer tout sanglant, et de le présenter à son mari, en lui disant ces paroles sublimes : Mon cher Pétus, cela ne fait point de mal. Mais, après tout, elle était soutenue par la gloire et l’immortalité présentes dans ce moment, à ses yeux. Combien ne faut-il pas plus de force et de courage, en l’absence de ces brillantes illusions, pour cacher ses larmes, dévorer sa douleur, et jouer encore le rôle de mère[2], quand on n’a plus de fils !

Scribonien avait pris les armes, en Illyrie, contre l’empereur Claude : Pétus avait suivi le parti de la révolte, et, après la mort de Scribonien, on le traînait à Rome. On allait l’embarquer : Arria conjure les soldats de la recevoir avec lui. Vous ne pouvez, leur disait-elle, refuser à un consulaire quelques esclaves qui lui servent à

  1. Son mari. Dans l’édition jointe à la traduction, ainsi que dans plusieurs autres, avant maritus ejus, on trouve Cœcina Pœtus. Mais ces deux mots sont supprimés par la plupart des éditeurs, qui les regardent, comme une glose, introduite par les copistes, et transportée de la marge dans le texte. Est-il bien nécessaire, en effet, de rappeler, en cet endroit, que le mari d’Arria s’appelait Cœcina Pœtus ?
  2. Jouer encore le rôle de mère. En traduisant elle montre un visage de mère contente, quand elle n’a plus de fils, De Sacy avait altéré l’admirable simplicité du latin : l’héroïsme d’Arria consistait, non pas à montrer un visage de mère contente, mais à se montrer encore mère, quand elle n’avait plus de fils. Ce sont là de ces beautés de sentiment, qu’un traducteur doit rendre avec une scrupuleuse fidélité.