Page:Pline le Jeune Lettres I Panckoucke 1826.djvu/283

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
223
LETTRES DE PLINE. LIV. II.
XIV.
Pline à Acilius.

Voici une aventure des plus tragiques, et telle, qu’une lettre ne suffit pas pour en faire sentir toute l’horreur. Les esclaves de Largius Macedo, l’ancien préteur, viennent d’exercer sur lui les dernières cruautés : c’était un maître dur, inhumain, et qui avait oublié, ou, si vous voulez, qui se souvenait trop que son père avait été lui-même esclave. Il prenait le bain dans sa maison de Formies, lorsque tout à coup ses gens l’environnent ; l’un le prend à la gorge ; l’autre le frappe au visage ; celui-ci lui donne mille coups dans le ventre, dans l’estomac, et, chose affreuse, jusque dans les parties du corps qu’on ne peut nommer. Lorsqu’ils crurent l’avoir tué, ils le jetèrent sur un plancher brûlant, pour s’assurer qu’il ne vivait plus. Lui, soit qu’en effet il eût perdu le sentiment, soit qu’il feignît de ne rien sentir, demeure étendu et immobile, et les confirme dans la pensée qu’il était mort. Aussitôt ils l’emportent, comme s’il eût été étouffé par la chaleur du bain. Ceux de ses esclaves qui n’étaient point complices s’approchent alors de lui : ses concubines accourent en poussant de grands cris. Largius, réveillé par le bruit, et ranimé par la fraîcheur du lieu, entr’ouvre les yeux, et, par un léger mouvement, annonce qu’il vit encore : il le pouvait alors sans danger. Les esclaves prennent la fuite : on arrête les uns ; on court après les autres. Quant au maître, ranimé a grand’peine, il meurt au bout de quelques jours, avec la consolation de se voir vengé, comme l’on venge