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LETTRES DE PLINE. LIV. II.

avec autant de cruauté que d’avarice, la même année que sous Marius Priscus l’Afrique éprouvait semblable sort. Priscus était originaire de la Bétique, et Classicus d’Afrique : de là ce bon mot des habitans de la Bétique (car il échappe quelquefois de bons mots à la douleur) : L’Afrique nous rend ce que nous lui avons prêté. Il y eut pourtant cette différence entre ces deux hommes, que Priscus ne fut poursuivi publiquement que par une seule ville, à laquelle vinrent se joindre plusieurs particuliers ; tandis que la province entière de Bétique fondit sur Classicus. Il prévint les suites de ce procès par une mort qu’il dut, soit au hasard, soit à son courage ; car sa mort, qui n’a rien d’ailleurs d’honorable, ne laisse pas d’être équivoque[1]. Si, d’un côté, il paraît fort vraisemblable qu’en perdant l’espérance de se justifier il ait voulu perdre la vie, il n’est pas concevable, de l’autre, qu’un scélérat qui n’a pas eu honte de commettre les actions les plus condamnables, ait eu le cœur d’affronter la mort pour se dérober à la honte de la condamnation. La Bétique cependant demandait que, tout mort qu’il était, son procès fût instruit. Sa demande était conforme à la loi ; mais cette loi était tombée en désuétude, et on la tirait de l’oubli après une longue interruption. Les peuples de cette province allaient encore plus loin : ils prétendaient que Classicus n’était pas le seul coupable ; ils accusaient nommément les ministres, les complices de ses crimes, et demandaient justice contre eux.

Je parlais pour la Bétique, et j’étais secondé par Luceius Albinus, dont l’éloquence est à la fois abondante et fleurie : nous avions déjà de l’amitié l’un pour l’autre ; mais cette communauté de ministère me l’a rendu bien plus cher encore. Il semble que les rivaux de gloire, surtout parmi les

  1. Sa mort, qui n’a rien d’ailleurs d’honorable. « La mort de cet infâme, » dit le traducteur, qui fait rapporter infamis à ejus, par une distraction assez singulière.