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LETTRES DE PLINE. LIV. II.

la gloire de Tite-Live, vint des extrémités du monde pour le voir, le vit, et s’en retourna ? Il faut être sans goût, sans littérature, sans émulation, j’ai presque dit sans honneur, pour ne pas céder à cette curiosité, la plus séduisante, la plus noble, enfin la plus digne d’un homme. Vous me direz peut-être, je lis ici des ouvrages où l’on ne trouve pas moins d’éloquence. Je le veux ; mais vous les lirez toujours quand il vous plaira, et vous ne pourrez pas toujours entendre ce grand homme. Ignorez-vous d’ailleurs que le débit fait une impression bien plus vive et bien plus profonde ? Ce que vous lisez l’emportât-il naturellement en énergie, les traits que l’orateur enfonce par le geste, par la voix, par le jeu de la physionomie, entreront toujours plus avant. Ne savons-nous pas ce que l’on raconte d’Eschine ? Un jour qu’il lisait à Rhodes la harangue que Démosthène avait prononcée contre lui, les auditeurs applaudissaient avec enthousiasme. Que serait-ce donc, s’écria-t-il, si vous eussiez entendu le monstre lui-même[1] ? Cependant, si l’on en croit Démosthène, Eschine avait un organe très-sonore[2] ; et Eschine avouait néanmoins que l’auteur du discours l’avait infiniment mieux débité que lui. Quel est le but de tout ceci ? C’est de vous déterminer à venir entendre Isée, quand ce ne serait que pour dire que vous l’avez entendu. Adieu.


IV.
Pline à Calvina[3].

Si votre père avait laissé des créanciers, ou même un seul créancier autre que moi, vous auriez raison de déli-

  1. Que serait-ce donc, etc. Quelques manuscrits, après θηρίον, portent τά αὑτοῦ ῥήματα βοῶντος, que Gesner n’ose pas condamner.
  2. Un organe très-sonore. C’est le sens de λαμπροφωνότατος, que j’ai préféré à μεγαλοφωνότατος et à d’autres leçons des manuscrits. De Sacy a traduit, Eschine avait la déclamation très-véhémente : j’ignore quel texte il avait sous les yeux.
  3. Calvina. Elle était parente, sans doute, de l’une des deux femmes de Pline, puisqu’il parle dans les premières lignes des liens (affnitatis officia) qui les unissent.