Page:Pline le Jeune Lettres I Panckoucke 1826.djvu/147

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tuée par le sénat pour travailler à la diminution des charges publiques[1], il me choisit, malgré ma jeunesse, pour le remplacer[2], me préférant à tant d’amis consulaires et d’une vieillesse honorable. Et de quelles paroles obligeantes n’accompagna-t-il point cette faveur ! Quand j’aurais un fils, me dit-il, je vous préférerais encore a lui. Puis-je m’empêcher, dites-moi, de verser des larmes dans votre sein, et de pleurer sa mort comme prématurée ? si toutefois il est permis de la pleurer, ou d’appeler mort le passage qu’il a fait d’une vie courte à une vie qui ne finira plus. Car enfin il vit, et vivra toujours, plus que jamais présent à la mémoire des hommes et mêlé à leurs discours, depuis qu’il ne paraît plus à leurs yeux. J’avais mille autres choses à vous mander ; mais mon esprit ne peut se détacher de Virginius : je ne puis penser qu’à Virginius : l’imagination prête à mes souvenirs toute la force de la réalité[3] ; je crois l’entendre, l’entretenir, l’embrasser. Nous avons et nous aurons peut-être encore des citoyens qui l’égaleront en vertus ; personne n’égalera sa gloire. Adieu.


II.
Pline à Paullinus[4].

Je suis en colère : je ne sais pas encore si c’est avec raison ; ce qu’il y a de certain, c’est que je suis en colère. Vous connaissez l’amitié ; elle est quelquefois injuste, souvent emportée, toujours querelleuse[5]. Mais ici j’aurais matière à me fâcher, si mon courroux était fondé ;

  1. La commission instituée, etc. Nerva avait institué une commission composée de cinq membres, pour réparer les finances épuisées par Domitien.
  2. Pour le remplacer. De Sacy avait traduit : Il me choisit … pour porter ses excuses. Je crois, avec un commentateur, que quo excusaretur emporte le sens de vicarius, ou de remplaçant. C’est, au reste, la seule idée qui puisse convenir à l’ensemble de ce passage.
  3. Je ne puis penser, etc. J’ai supprimé Virginium ideo, qui n’est pas dans l’édition de Schæfer, et que De Sacy n’avait pas traduit.
  4. Paullinus. Valerius Paullinus avait été tribun du prétoire, et, sous Vitellius, intendant de la Gaule Narbonaise. Il était ami de Vespasien avant son élévation, et lui rendit de grands services quand il fut empereur. (Voyez Tacit., Hist. iii, 42.)
  5. Toujours querelleuse. En corrigeant les premières phrases de cette lettre, nous avons substitué le mot d’amitié à celui d’amour, que De Sacy avait laissé par un excès de fidélité, qu’on pourrait appeler infidèle ; car il est certain que dans cet endroit amor ne signifie pas autre chose qu’amitié.