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LETTRES DE PLINE. LIV. I.

ment de mains, sans aucune douleur. Il est vrai que la crise de sa mort a été longue et douloureuse ; mais cela même n’a fait que rehausser sa gloire. Il exerçait sa voix, pour se préparer à remercier publiquement l’empereur de l’avoir élevé au consulat[1] : il était debout ; un large volume, que tenait le vieillard, échappe à ses faibles mains. Il veut le retenir, et se presse de le ramasser : le plancher était glissant ; le pied lui manque ; il tombe, et se rompt une cuisse. Elle fut mal remise, et, la vieillesse s’opposant aux efforts de la nature, les os ne purent reprendre. Les obsèques de ce grand homme honorent l’empereur, notre siècle, la tribune même et le barreau. Cornelius Tacite a prononcé son éloge[2] ; car la fortune, pour dernière grâce, réservait à Virginius le plus éloquent des panégyristes. Il est mort chargé d’années, comblé d’honneurs, même de ceux qu’il a refusés ; et cependant nous n’en devons pas moins le regretter, comme le modèle des anciennes mœurs ; moi surtout, qui le chérissais, qui l’admirais autant dans le commerce familier, que dans sa vie publique. Nous étions du même pays : nos villes natales étaient voisines ; nos terres et nos propriétés se touchaient. Il m’avait été laissé pour tuteur, et avait eu pour moi la tendresse d’un père. Je n’ai point obtenu de charge qu’il ne l’ait briguée publiquement pour moi, et qu’il n’ait accouru du fond de sa retraite pour m’appuyer de son crédit, quoique depuis long-temps il eût renoncé à ces sortes de devoirs. Enfin, le jour que les prêtres ont coutume de nommer ceux qu’ils croient les plus dignes du sacerdoce, jamais il ne manqua de me donner son suffrage. Cette vive affection ne se démentit point pendant sa dernière maladie. Craignant d’être élu l’un des cinq membres de la commission insti-

  1. Remercier publiquement, etc. C’était alors un usage que le consul rendît grâce au prince. (Voyez le Panégyrique de Trajan, et la lettre 18e du liv. iii.)
  2. Son éloge. Nous avons substitué le mot d’éloge à l’expression moderne d’oraison funèbre, réservée d’ailleurs aux cérémonies du christianisme. Dans la même phrase j’ai supprimé consule, que je ne trouve dans aucune édition.