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LETTRES DE PLINE. LIV. I.

ne marque pas tant de justesse, elle marque au moins beaucoup plus d’étendue dans l’esprit. Quand je parle ainsi, je n’approuve pas ce discoureur sans fin, que peint Homère[1] ; je songe plutôt à celui dont les paroles se précipitent en abondance,

Comme à flocons pressés la neige des hivers[2].

Ce n’est pas que je n’aie aussi beaucoup de goût pour l’autre,

Qui sait dans peu de mots cacher un sens profond[3].

Mais si vous me laissez le choix, je me déclarerai pour cette éloquence semblable aux neiges d’hiver, c’est-à-dire, abondante, large, impétueuse : c’est là ce que j’appelle une éloquence vraiment divine. Cependant, direz-vous, beaucoup d’auditeurs aiment la brièveté : oui, sans doute, les paresseux, dont il serait ridicule de prendre pour règle la délicatesse et l’indolence ; si vous les consultez, non-seulement vous parlerez peu, mais vous ne parlerez point. Voilà mon sentiment, que j’offre d’abandonner pour le vôtre. Toute la faveur que je vous demande, si vous me condamnez, c’est de m’en développer les motifs. Ce n’est pas que je ne sache quelle soumission je dois à votre autorité ; mais, dans une occasion de cette importance, il est mieux encore de déférer à la raison. Ainsi, êtes-vous de mon avis, écrivez-le-moi, aussi briévement qu’il vous plaira ; mais enfin, écrivez-le-moi : cela me fortifiera toujours dans mon opinion. Me trompé-je, prouvez-le-moi dans une très-longue lettre. N’est-ce point vous corrompre, que d’exiger seulement un billet, si vous m’êtes favorable, et une longue épître, si vous m’êtes contraire ? Adieu.

  1. Ce discoureur sans fin. Thersite. (Homer., Iliad. ii, 212.)
  2. Comme à floccons pressés, etc. Homer., Iliad. iii, 222. C’est à Ulysse qu’Homère applique ces paroles.
  3. Qui sait, etc. Homer., Iliad. iii, 214. Ceci est dit de Ménélas.