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LETTRES DE PLINE. LIV. I.

tous les maîtres : j’ai souvent rempli les fonctions d’avocat et de juge ; on m’a consulté souvent ; et j’ai toujours éprouvé que tous les hommes ne sont pas frappés des mêmes raisons, et que souvent c’est par de petites considérations qu’on produit sur eux de grands effets. Les dispositions de leur esprit, les affections de leur cœur, sont tellement variées, qu’il est ordinaire de les voir de différens avis sur une question que l’on vient d’agiter devant eux ; et, s’il leur arrive de s’accorder, c’est presque toujours par des motifs différens. D’ailleurs, on s’entête de ce qu’on a soi-même imaginé ; et lorsque le moyen qu’on a prévu est proposé par un autre, on le regarde comme péremptoire. Il faut donc donner à chacun quelque chose qu’il puisse saisir, qu’il puisse reconnaître. Un jour que Regulus et moi défendions le même client, il me dit : Vous vous imaginez qu’il faut tout faire valoir dans une cause ; moi, je prends d’abord mon ennemi a la gorge ; je l’étrangle. Il presse effectivement l’endroit qu’il saisit ; mais il se trompe souvent dans le choix qu’il fait. Ne pourrait-il point arriver, lui répondis-je, que vous prissiez quelquefois le genou, la jambe, ou même le talon, pour la gorge ? Moi, qui ne suis pas si sûr de saisir la gorge, je saisis tout ce qui se présente, de peur de m’y tromper[1]. Je mets tout en œuvre : je fais valoir ma cause, comme on fait valoir une ferme. On n’en cultive pas seulement les vignes : on y prend soin des moindres arbrisseaux, on en laboure les terres. Dans ces terres, on ne se contente pas de semer du froment, du seigle ; on y sème de l’orge, des fèves, et toutes sortes d’autres légumes. Je jette aussi à pleines mains dans ma cause des moyens de toute espèce, pour en recueillir ce qui pourra venir à bien. Il n’y a pas plus de fond à faire sur la certitude des juge-

  1. Je saisis tout ce qui se présente, etc. Il y a dans le texte πάντα λίθον κινῶ, je remue toute pierre : c’est un proverbe grec, dont on rapporte diversement l’origine. Voyez les Proverbes d’Érasme, à l’article omnem lapidem movere.