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LETTRES DE PLINE. LIV. I.
XV.
Pline à Septicius Clarus.

À merveille vraiment ! vous me promettez de venir souper, et vous ne venez pas ! Il y a bonne justice à Rome : vous me paierez mes dépenses jusqu’à la dernière obole ; et cela va plus loin que vous ne croyez. J’avais préparé à chacun sa laitue[1], trois escargots[2], deux œufs, un gâteau, du vin miellé et de la neige ; car je vous compterai jusqu’à la neige, et avec plus de raison encore que le reste, puisqu’elle ne sert jamais plus d’une fois. Nous avions des olives, des bettes[3], des courges, des échalottes, et mille autres mets aussi délicats. Vous auriez eu à choisir d’un comédien, d’un lecteur, ou d’un musicien ; ou même, admirez ma générosité, vous les auriez eus tous ensemble. Mais vous avez préféré, chez je ne sais qui, des huîtres, des viandes exquises, des poissons rares, et des danseuses espagnoles[4]. Je saurai vous en punir ; je ne vous dis pas comment. Vous avez agi cruellement : c’est un grand plaisir dérobé, si ce n’est à vous, du moins à moi. Cependant, croyez que vous y avez perdu vous-même. Comme nous eussions badiné, plaisanté, moralisé ! Vous trouverez ailleurs des repas plus magnifiques ; mais n’en cherchez point où règnent davantage la joie, la franchise, la confiance. Faites-en l’épreuve ; et, après cela, si vous ne quittez toute autre table pour la mienne, je consens que vous quittiez la mienne pour toute autre. Adieu.


  1. Sa laitue. C’était toujours par les laitues que commençait le souper, suivant cette maxime :
    Nil nisi lene decet vacuis committere venis.
  2. Trois escargots. Les Romains estimaient surtout ceux d’Illyrie et d’Afrique.
  3. Des bettes. De Sacy avait traduit des olives d’Andalousie, parce que son texte portait sans doute olivas Bæticæ : l’éditeur de la traduction, sans rien changer à l’interprétation de De Sacy, n’en avait pas moins admis dans le latin qu’il plaçait en regard, olivæ, betacei. J’ai admis cette dernière leçon avec plusieurs critiques, parce que les olives de Bétique étaient fort recherchées, et qu’elles ne peuvent avoir place dans cette énumération de mets simples et communs.
  4. Des danseuses espagnoles. Dans De Sacy, il y avait danses au lieu de danseuses, quoique le texte porte Gaditanas. Ce qui justifierait sa traduction, c’est la leçon Gaditana (sous-entendu cantica), adoptée par quelques commentateurs. Il me semble plus naturel que Pline oppose les danseuses au comédien et au lecteur.