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LETTRES DE PLINE. LIV. I.

homme j’ai perdu. Je sais qu’il avait passé soixante et sept ans, terme assez long, même pour les santés les plus robustes. Je sais qu’il est délivré de toutes les douleurs d’une maladie continuelle. Il a eu le bonheur de laisser florissantes et sa famille, et la république, qui lui était plus chère encore que sa famille. Je me le dis, je le sens ; cependant je le regrette comme s’il m’eût été ravi dans la fleur de son âge, et dans la plus brillante santé[1] : dussiez-vous m’accuser de faiblesse, je le regrette particulièrement pour moi-même. J’ai perdu le témoin, le guide, le juge de ma vie. Vous ferai-je un aveu, que j’ai déjà fait à notre ami Calvisius, dans les premiers transports de ma douleur ? je crains bien de ne plus veiller sur moi avec autant de soin[2]. Vous voyez combien j’ai besoin de vos consolations. Ne me dites pas, Il était vieux, il était souffrant ; je sais cela : il me faut d’autres motifs, des considérations plus puissantes, que je n’aie encore trouvées ni dans le monde, ni dans les livres. Tout ce que j’ai entendu, tout ce que j’ai lu, se présente à ma pensée ; mais c’est un secours trop faible pour une si grande douleur. Adieu.


XIII.
Pline à Sosius Senecion.

L’année a été fertile en poètes : le mois d’avril n’a presque pas eu de jour où il ne se soit fait quelque lecture. J’aime à voir que l’on cultive les lettres, et qu’elles excitent cette noble émulation, malgré le peu d’empressement de nos Romains à venir entendre les productions

  1. Je le regrette, comme s’il m’eût été ravi, etc. J’ai trouvé dans l’édition jointe à la traduction, tanquam et juvenis et firmissimi morte doleo, et dans l’édition de Schæfer, tanquam et juvenis et fortissimi morte doleo. J’ai adopté, d’après Heusinger et son édition romaine, mortem doleo, qui est d’une latinité plus exacte. Quant à fortissimi, j’ignore d’après quelle autorité Schæfer l’a introduit dans son texte.
  2. Je crains bien, etc. De Sacy traduisait : Je crains bien que cette mort ne me coûte quelque relâchement.