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le lieu le plus fréquenté du forum de son nom ; le dieu Claude crut mieux faire d’effacer dans l’un et l’autre tableau la tête d’Alexandre, pour y substituer celle du dieu Auguste. On lui attribue aussi l’Hercule vu par derrière, dans le temple d’Antonia92 ; et, chose très difficile, la peinture fait voir plutôt qu’elle ne promet le visage du dieu. Il a peint un héros nu, et par cette peinture il a défié la nature elle-même.

32 Il existe ou il a existé de lui un cheval qu’il exposa dans un concours public. Pour ce tableau93 Apelle en appela du jugement des hommes à celui des bêtes ; car, s’apercevant que ses rivaux l’emportaient par leurs brigues, il montra à des chevaux amenés le tableau de chacun : les chevaux ne hennirent qu’à la vue de celui d’Apelle ; et depuis on ne cesse de citer cette épreuve triomphante de la peinture. 33 Apelle a fait un Néoptolème combattant à cheval contre les Perses, Archélaüs94 avec sa femme et sa fille, Antigone cuirassé, cheminant à cheval. Les maîtres de l’art préfèrent à tous ses autres ouvrages le même roi à cheval, et une Diane au milieu d’un chœur de jeunes filles qui célèbrent un sacrifice ; tableau où il paraît avoir surpassé les vers d’Homère (Od., VI, 102), qui décrit le même sujet. Il peignit aussi ce qui ne peut se peindre, le tonnerre, la foudre et les éclairs95 : tableaux connus sous le nom de Bronte, Astrape, Ceraunobolia.

34 Ses inventions dans l’art ont été utiles à tous ; une cependant n’a pu être imitée par personne : ses tableaux terminés, il mettait dessus une encre si légère, que, tout en donnant par le reflet plus de vivacité aux couleurs, tout en les préservant de la poussière et des ordures, elle ne se laissait voir que lorsqu’on était assez près pour y toucher. Quelque subtile que fût cette encre, Apelle en retirait le grand avantage d’adoucir l’éclat des couleurs, trop vif pour l’œil ; c’était comme si on eût vu de loin le tableau à travers le pierre spéculaire. Ce procédé donnait aussi, sans qu’on sût comment, un ton plus foncé aux couleurs trop brillantes.

35 Il eut pour contemporain Aristide de Thèbes. Celui-cl, le premier de tous, peignit les sentiments, et représenta l’homme moral ; ce que les Grecs nomment ethe (l’éthique) ; il exprima aussi les troubles de l’âme ; son coloris est un peu dur. C’est de lui le tableau où l’on voit, dans la prise d’une ville, une mère blessée et mourante : l’enfant se traîne en rampant vers le sein maternel ; la mère paraît s’en apercevoir, et craindre qu’il ne tette le sang, au lieu du lait déjà tari. Alexandre avait fait transporter ce tableau à Pella, sa patrie. Aristide peignit aussi un combat contre les Perses ; ce tableau contient cent figures ; il avait fait prix à 10 mines (690 fr.) pour chacune d’elles avec Mnason, tyran d’Élatée. 36 Il a fait des quadriges lancés, un suppliant qui a presque la voix ; des chasseurs avec leur gibier ; Leontion96, maîtresse d’Épicure ; l’Anapauomène [c’est-à-dire Byblis], morte d’amour pour son frère ; Bacchus et Ariane, qu’on voit à Rome dans le temple de Cérès ; un tragédien et un enfant, dans le temple d’Apollon : ce tableau fut gâté par la maladresse du peintre que M. Junius, alors préteur, avait chargé de le nettoyer, vers l’époque des jeux Apollinaires. On voyait dans le temple de la Foi, au Capitole, un vieillard donnant des leçons de lyre à un enfant. Il a peint aussi un malade, sur les éloges duquel on ne tarit point. Il excellait97 tellement dans son art, que le roi Attale donna,