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dique ; Apelle en offrit 50 talents (246,000 fr.), et répandit le bruit qu’il les achetait pour les vendre comme siens. Par là il fit comprendre aux Rhodiens le mérite de leur peintre, et il ne leur céda les tableaux qu’après qu’ils y eurent mis un plus haut prix.

26 Il peignit le portrait avec une telle ressemblance qu’Apion le grammairien a écrit à ce sujet un fait incroyable : un de ces gens qui font métier de deviner d’après les traits du visage, et qu’on appelle métoposcopes, avait sur ces portraits deviné les années de la mort ou déjà arrivée, ou future, de ceux qu’ils représentaient. Apelle avait été mal avec Ptolémée, tous deux étant de la suite d’Alexandre : Ptolémée régnant en Égypte, Apelle fut jeté a Alexandrie par la violence d’une tempête ; des rivaux engagérent par fraude un bouffon du roi à l’inviter ; Apelle vint au dîner du roi : Ptolémée, indigné, et lui montrant ses officiers chargés de faire les invitations, lui demanda lequel d’entre eux l’avait invité. L’artiste prit au foyer un charbon éteint, et traça sur la muraille une image que le roi reconnut pour celle du bouffon dès les premiers traits. 27 Apelle fit aussi le portrait du roi Antigone, qui était borgne, et, usant d’un moyen, trouvé jadis87, de cacher les défauts, il le fit de profil ; de la sorte, ce qui manquait réellement à la personne semblait ne manquer qu’à la peinture, et il ne montra de la face que le côté qu’il pouvait montrer tout entier. Il y a parmi ses ouvrages des figures de mourants. De fait, il n’est pas facile de dire quelles sont les plus excellentes de ses productions.

28 La Vénus Anadyomène, c’est-à-dire sortant de la mer, a été consacrée par le dieu Auguste dans le temple de son père César. Ce tableau a été célébré par des vers grecs qui l’ont vaincu, mais illustré88. Le bas de cette figure ayant été endommagé, on ne put trouver personne capable de la restaurer ; ainsi ce dommage même tourna à la gloire de l’artiste. Le temps et la pourriture détruisirent ce tableau ; et Néron, pendant son règne, le remplaça par un autre, de la main de Dorothée. 29 Apelle avait commencé aussi, pour les habitants de Cos, une autre Vénus qui aurait surpassé même sa première ; mais la mort jalouse l’empêcha de l’achever, et personne ne se trouva qui voulût la continuer en suivant l’esquisse. Il a peint aussi, dans le temple de Diane d’Éphèse, Alexandre le Grand tenant la foudre, tableau qui fut payé 20 talents d’or (environ 1,000,000 fr.)90 ; la main et la foudre semblent sortir du tableau. Que les lecteurs se souviennent que tous ces ouvrages furent exécutés avec quatre couleurs (XXXV, 32). Pour payer ce dernier morceau, on ne compta pas les pièces d’or, on en couvrit le tableau91.

30 Il a peint aussi la pompe de Mégabyse, prêtre de Diane d’Éphèse ; un Clitus à cheval, courant au combat : un écuyer lui présente un casque qu’il demande. Il est inutile d’énumérer combien de fois il a peint Alexandre et Philippe. On admire de lui, à Samos, un Habron ; à Rhodes, un Ménandre, roi de Carie, et un Antée ; à Alexandrie, Gorgosthène le tragédien ; à Rome, Castor et Pollux, avec la Victoire et Alexandre le Grand ; une figure de la Guerre les mains liées derrière le dos, et à côté Alexandre sur un char triomphal : 31 ces deux tableaux avaient été consacrés par le dieu Auguste, avec une modestie de bon goût, dans