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pulture, et le souci même de ce qui sera après lui. Aucun n’a une vie plus fragile, aucun des passions plus effrénées pour toute chose, aucun des peurs plus effarées, aucun de plus violentes fureurs. Enfin les autres animaux vivent honnêtement avec leurs semblables ; nous les voyons se réunir et combattre contre des espèces différentes ; les féroces lions ne se font pas la guerre entre eux ; la dent des serpents ne menace pas les serpents ; les monstres même de la mer et les poissons ne sont cruels que pour des espèces différentes. Mais certes c’est de l’homme que l’homme reçoit le plus de maux.

(i.) Nous avons, dans l’énumération géographique, dit à peu près tout ce que nous avions à dire du genre humain en général ; car nous ne nous occupons pas maintenant des coutumes et des mœurs, dont la diversité est infinie, et presque égale au nombre des sociétés humaines. Cependant il est certains détails que je crois ne pas devoir omettre, surtout au sujet des peuples qui vivent loin de la mer. Je ne doute pas que plu-sieurs de ces détails ne paraissent prodigieux et incroyables à beaucoup. Qui, en effet, a cru à l’existence des Éthiopiens [des nègres] avant de les voir ? et quelle est la chose qui ne nous paraît pas étonnante quand elle vient à notre connaissance pour la première fois ? Que d’impossibilités supposées avant d’en avoir vu la réalisation ! la puissance et la majesté de la nature surpassent à chaque moment notre croyance, quand on n’en considère que les parties, sans l’embrasser tout entière en esprit. Pour ne parler ni des paons, ni de la robe bigarrée des tigres et des panthères, ni des riches cou leurs de tant d’animaux, il est un fait petit en apparence mais dont la portée est immense : c’est l’existence de tant de langages, de tant d’idiomes, de tant de parlers, si différents, qu’un homme est à peine un homme pour qui n’est pas son compatriote. D’un autre côté, bien que la face humaine ne se compose guère que de dix parties, remarquez que parmi tant de milliers d’hommes il n’y a pas deux figures qu’on ne puisse distinguer l’une de l’autre : variété que, malgré tous ses efforts, l’art ne peut reproduire entre le petit nombre de types qu’il a créés. Toutefois je ne me porterai pas garant de la plupart de ces détails, et je renverrai aux auteurs mêmes, que je citerai pour toutes les choses douteuses ; mais je demande qu’on ne se lasse pas de suivre les Grecs, les plus exacts des observateurs comme les plus anciens.

II. (ii.) Nous avons indiqué (iv, 26 ; v, 25) qu’il y a des peuplades scythes, et en grand nombre, qui se repaissent de chair humaine. Cela même paraîtra peut-être incroyable, si nous ne réfléchissons pas qu’au milieu de nous, en Sicile et en Italie, de pareilles monstruosités ont été commises par des nations, les Cyclopes (iii, 9) et les Lestrygons, et que tout récemment les peuples transalpins étaient dans l’habitude de sacrifier des hommes (xxxvi, 5) : de là à en manger il n’y a pas loin. Auprès de ceux qui sont tournés vers le septentrion, non loin de l’origine de l’Aquilon et de la caverne d’où il sort, lieu appelé Gesclitos, on rapporte que sont les Arimaspes, qui, avons-nous dit (iv, 2 ; vi, 19), n’ont qu’un œil au milieu du front. Ils sont continuellement en guerre autour des mines avec les griffons, espèce d’animaux ailés, tels que la tradition les figure d’ordinaire : les griffons extraient l’or des cavités souterraines, et le défendent avec autant d’ardeur que les Arimaspes cherchent à le ravir ; c’est du moins ce que racontent beaucoup d’auteurs,