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pagne, de mots étrangers, barbares même, ou qu’il est besoin de faire précéder d’une excuse. D’ailleurs, la voie où j’entre n’est pas familière aux auteurs, ni de celles où l’esprit aime à s’engager. Nul chez nous n’a fait cette tentative, nul ches les Grecs n’a embrassé seul tous ces objets. Nous cherchons en général les agréments de l’étude ; aussi, les œuvres qui passent pour traiter de choses infiniment ardues demeurent dans l’obscurité et dans l’oubli. De plus, il me faut toucher à tout ce que les Grecs renferment dans le mot d’encyclopédie : et cependant il est des points ou ignorés, ou que la subtilité a rendus incertains ; il en est d’autres traités tant de fois, que le dégoût s’y est attaché. Ce n’est pas chose aisée que de donner un air nouveau à ce qui est ancien, de l’autorité à ce qui est nouveau, du brillant à ce qui est terne, de la lumière à ce qui est obscur, de la faveur à ce qui est dédaigné, du crédit à ce qui est douteux, à chaque chose sa nature, et à la nature tout ce qui lui appartient. Aussl, dussé-je manquer le but, il sera beau et glorieux d’avoir voulu y arriver.

Pour moi, je pense qu’un intérêt particulier doit s’attacher dans les lettres à ceux qui, vainqueurs des difficultés, ont préféré le mérite d’être utile à l’avantage de plaire. J’ai moi-même donné déjà des exemples de cette préférence dans d’autres ouvrages ; et je m’étonne, j’en conviens, d’entendre le célèbre Tite-Live, au début d’un livre de son Histoire commencée à l’origine de Rome, déclarer qu’assez de gloire lui était déjà acquise, et qu’il pourrait s’arrêter, si son esprit ennemi du repos ne trouvait un aliment dans le travail. À coup sur il eût mieux valu écrire pour la gloire du nom romain et d’une nation victorieuse des nations, que pour la sienne propre ; il eût été plus méritoire d’avoir persévéré par amour pour l'œuvre, non par satisfaction personnelle, et travaillé non pour sol, mais pour le peuple romain.

Vingt mille faits dignes de conservation (car les livres doivent être des trésors, comme dit Domitius Pison), vingt mille faits extraits de la lecture d’environ deux mille volumes, dont un bien petit nombre est entre les mains des savants à cause de l’obscurité de la matière, et qui proviennent de cent auteurs de choix, ont été renfermés en trente-six livres, avec l’addition de beaucoup de choses ou ignorées de nos prédécesseurs, ou découvertes depuis eux par la civilisation. Sans doute j’ai commis, moi aussi, bien des omissions ; je suis homme, mon temps est pris par des fonctions publiques, et je m’occupe de ce travail à mes moments de loisir, c’est-à-dire pendant la nuit. Car je ne voudrais pas que mes princes me crussent coupable de leur avoir dérobé des heures qui leur sont dues : je leur consacre les jours, je règle avec le sommeil le compte de la santé ; et ma récompense, qui me satisfait, c’est de vivre un plus grand nombre d’heures en m’amusant, comme dit Varon, à ces compositions. Et en effet, vivre c’est veiller.

Tandis que ces motifs et ces difficultés me défendent de rien promettre, vous, en me permettant de vous écrire, me rendez de l’assurance. Là est le gage du succès de l’ouvrage, là en est la recommandation. Que d’objets ne paraissent précieux que parce qu’ils sont dédiés dans les temples ! Au reste, j’ai parlé de vous tous, votre père, votre frère et vous, dans une composition régulière, où j’ai commencé l’histoire de notre temps là où s’arrête Aufidius Bassus.. Où est-il