tienne ? 5Comme votre voix tonne pour les louanges d’un père ! comme elle se complaît dans celles d’un frère. Quelle hauteur vous atteignez dans la poésie ! Ô fécondité d’un grand esprit ! vous avez voulu même imiter votre frère (4), et vous y avez réussi. Mais qui peut envisager sans effroi une telle supériorité, au moment de se soumettre à votre jugement, et à un jugement provoqué ? Il est tout différent d’adresser un livre au public, ou de vous le dédier nominativement. Dans le premier cas, je pourrais dire : Pourquoi me lire, grand empereur ? Ces choses sont écrites pour l’humble vulgaire, pour la foule des agriculteurs et des artisans, enfin pour ceux que les lettres n’occupent pas. Pourquoi vous constituer juge, vous qui, au moment où j’écrivais, n’étiez pas sur la liste ?
6Je vous savais trop grand pour croire que vous descendriez jusque-là. D’ailleurs le droit commun autorise à récuser même les savants. Ce droit de récusation, Cicéron en use, lui placé, pour le génie, au-dessus de toutes les chances ; et, chose singulière, pour en user il prend un avocat : Ce que j’écris ici, j’en défends la lecture au très-docte Persius, je la permets à Junius Congus (5). Si Lucilius, qui créa le style satirique, a cru devoir s’exprimer en ces termes, et Cicéron les emprunter même en composant son beau traité de la République, combien n’ai-je pas plus de motifs pour récuser certain juge ?
7Mais je me suis enlevé ce moyen de défense par ma dédicace ; car c’est tout autre chose d’avoir un juge par le sort ou de le choisir, et l’on traite avec bien plus d’apparat un hôte invité qu’un hôte d’occasion. Lorsque Caton (6), cet ennemi de toute brigue, joyeux
d’un refus comme d’un honneur acquis, devenait, dans le feu des élections, dépositaire des sommes que les candidats lui remettaient, ils déclaraient, en agissant ainsi, prendre le plus grand engagement de probité qu’il y eût alors au monde. 8De là cette célèbre exclamation de Cicéron : Heureux Caton, à qui personne n’ose demander une chose injuste ! Quand L. Scipion l’Asiatique en appelait aux tribuns, parmi lesquels était Gracchus, il déclarait se soumettre au jugement même d’un ennemi ; tant il est vrai qu’en choisissant son juge on en fait un arbitre suprême. De là vient la dénomination d’appel.
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