Page:Pline l'ancien - Histoire naturelle, Littré, T1 - 1848.djvu/14

Cette page a été validée par deux contributeurs.
VIII
NOTICE SUR PLINE.

expression. C’est qu’en effet, en médecine comme dans tout le reste, Pline n’a dans ses études personnelles aucun guide qui lui montre le droit chemin. Compilateur infatigable, il prend partout le bon et le mauvais ; et comme la médecine offre le plus de chances d’aberration aux esprits qui ne s’en sont pas occupés, Pline est particulièrement malencontreux dans tout ce qui concerne le traitement des maladies.

Voilà le mauvais côté de Pline, c’est-à-dire tout ce qui regarde la science proprement dite. C’était en effet un littérateur sans aucune qualification autre que son ardeur au travail et sa curiosité, pour écrire une encyclopédie. Mais cela même lui donne en revanche quelques qualités qui sont certainement considérables. Homme public, revêtu de fonctions élevées, ayant fait la guerre, ayant écrit l’histoire, ayant composé des ouvrages de philologie, on doit s’attendre à rencontrer dans son livre une foule d’anecdotes curieuses, de renseignements qu’on ne trouve pas ailleurs. C’est une source où, dans le fait, il y a beaucoup à puiser : la citation suivante relève les mérites de Pline quant à l’histoire.

« Je n’ai pas à répéter, dit M. Egger, tout ce que l’on sait sur la vie politique et littéraire de Pline l’Ancien : il faut toutefois remarquer le bonheur qu’a eu cet écrivain de passer ses plus laborieuses années sous le règne d’un empereur ami des lettres, protecteur judicieux des recherches historiques, historien lui-même ; car Vespasien avait écrit des mémoires que Josèphe cite plusieurs fois, et dont une grande partie doit se retrouver dans le récit de cet auteur sur les guerres de Judée. En outre, à cette époque, la famille des Césars venait de s’éteindre, et ainsi étaient rompues pour l’histoire toutes les traditions de la flatterie. Pline a donc pu lire et apprendre beaucoup ; et comme historien il a pu traiter avec liberté au moins toute la dynastie des Jules. C’est un avantage que Sénèque n’a pas toujours, bien qu’on s’aperçoive peu de la gêne imposée à sa franchise de philosophe.

« Tous deux également instruits sur le siècle d’Auguste, Pline et Sénèque diffèrent d’ailleurs beaucoup par la nature de leurs souvenirs. La raison en est simple. Pline n’a point à courir après l’anecdote pour justifier quelque thèse de morale ; il fait tout simplement l’inventaire de la civilisation contemporaine, tantôt marquant d’un trait de scepticisme les vains efforts de l’homme contre la toute-puissance de la nature, tantôt s’arrêtant avec admiration devant les progrès de l’industrie et de l’art, tour à tour censeur ou panégyriste éclairé des hommes et des grands exemples.

« Voilà pourquoi son livre, si étranger en apparence à l’histoire d’un temps déjà éloigné, mérite cependant une place dans notre examen. L’Histoire naturelle, en effet, donne beaucoup plus que ne promet son titre, surtout dans le sens que lui prêtent vulgairement les lecteurs français : elle embrasse le résumé de toutes les sciences, de tous les arts, avec une foule de digressions instructives sur les personnes et les institutions. Ainsi, à l’occasion des métaux et de leurs usages, elle nous apprend plusieurs faits du plus haut intérêt pour la numismatique ; ailleurs ce sont, au sujet des différentes espèces d’anneaux, de longs détails sur l’ordre des chevaliers ; ailleurs, la mention des cachets nous vaut quelques renseignements précieux sur l’administration de l’Italie par Mécène, en l’absence d’Octave. Souvent même les renseignements épars dans ces diverses digressions forment sur quelques parties de l’histoire un ensemble assez complet. Ainsi Pline est, après Strabon, le premier écrivain ancien où l’on puisse étudier dans toute sa grandeur l’aspect extérieur, les divisions, les ornements de cette Rome jadis si modeste, devenue si opulente sous Auguste, si cruellement ravagée sous Néron, et qui sortait enfin de ses ruines, grâce à l’activité de Vespasien ; en particulier le forum d’Auguste, les aqueducs, les portiques Octaviens avec leur bibliothèque publique, les colonnes et les curiosités de tout genre dont les avait enrichis la munificence de l’empereur. Pline seul nous a donné, sur la superficie de Rome et de ses faubourgs, les mesures vérifiées et commentées avec une sagacité admirable par Fabretti ; seul il nous a donné le nombre des quartiers dans la division établie par Auguste[1]. Les immenses travaux de l’édilité d’Agrippa, les progrès du luxe dans les matières de construction ; tant de traits qui font connaître les mœurs, les arts et le commerce, trouvent une place dans l’encyclopédie de Pline, et n’en auraient pas eu dans les ouvrages d’un annaliste. Tacite eût-il jamais raconté que sur la frontière de Germanie les chefs d’auxiliaires à la solde de Rome faisaient avec leurs soldats la chasse à une espèce d’oies sauvages, dont la plume servait à remplir des oreillers pour l’usage du soldat romain ? Tacite fût-il descendu jusqu’à nous apprendre que la peau du hérisson était dans l’empire romain l’objet d’un commerce immense ; que les désordres introduits par le monopole dans ce commerce avaient de tout temps éveillé la sollicitude du gouvernement, et que sur aucune matière il n’existait plus de sénatus-consultes ? À juger par ce dernier trait, on doit craindre que la collection de Vespasien dans le Capitole ne fût bien incomplète ; car trois mille tables ne peuvent représenter qu’une faible partie des lois, des traités, des décrets, que la république et l’empire avaient tant multipliés.

« Voilà deux exemples frappants de ces révélations qu’il ne faut guère demander à la gravité des historiens. Au contraire, Pline, par nécessité autant que par goût, ne connaît point de petit détail, point de monument qui ne mérite d’être cité, quand il est véridique. Outre les Actes du peuple, on voit qu’il avait lu beaucoup de mémoires historiques, depuis ceux d’Auguste jusqu’à ceux d’Agrippine et de Corbulon ; les lettres, les écrits d’Auguste empereur ; les mémoires géographiques d’Agrippa, au moins un discours du même (et c’est le seul dont le souvenir se soit conservé) sur la manière d’utiliser

  1. III, 8.