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VI
NOTICE SUR PLINE.

La partie botanique qui suit est très-considérable, d’autant plus que Pline introduit beaucoup de renseignements sur les arts, tels que la fabrication du vin et de l’huile, la culture des céréales, et différentes applications industrielles. La partie botanique terminée, il revient sur les animaux pour énumérer les remèdes qu’ils fournissent ; enfin il passe aux substances minérales, et là (ce qui est une des parties les plus intéressantes de son livre) il fait à la fois l’histoire des procédés d’extraction de ces substances, et celle de la peinture et de la sculpture chez les anciens. On voit qu’à vrai dire l’ouvrage de Pline est une sorte d’encyclopédie.

« Pline, dit Buffon, Discours premier sur l’histoire naturelle, a travaillé sur un plan bien plus grand (que celui d’Aristote), et peut-être trop vaste. Il a voulu tout embrasser, et il semble avoir mesuré la nature, et l’avoir trouvée trop petite pour l’étendue de son esprit. Son Histoire naturelle entreprend, indépendamment de l’histoire des animaux, des plantes et des minéraux, l’histoire du ciel et de la terre, la médecine, le commerce, la navigation, l’histoire des arts libéraux et mécaniques, l’origine des usages, enfin toutes les sciences naturelles et tous les arts humains ; ce qu’il y a d’étonnant, c’est que dans chaque partie Pline est également grand. L’élévation des idées, la noblesse du style relèvent encore sa profonde érudition : non-seulement il savait tout ce qu’on pouvait savoir de son temps, mais il avait cette facilité de penser en grand, qui multiplie la science. Il avait cette finesse de réflexion de laquelle dépend l’élégance et le goût, et il communique à ses lecteurs une certaine liberté d’esprit, une hardiesse de pensée qui est le germe de la philosophie. Son ouvrage, tout aussi varié que la nature, la peint toujours en beau. C’est, si l’on veut, une compilation de tout ce qui avait été écrit avant lui, une copie de tout ce qui avait été fait d’excellent et d’utile à savoir ; mais cette copie a de si grands traits, cette compilation contient des choses rassemblées d’une manière si neuve, qu’elle est préférable à la plupart des livres originaux qui traitent de cette matière. »

Quelle que soit la compétence de Buffon en une pareille matière, on ne peut accepter ce jugement. Il s’est laissé préoccuper l’esprit par le préjugé qui entourait Pline de l’auréole d’une science supérieure. L’ascendant de toute l’antiquité en général et de Pline en particulier sur le moyen âge et sur l’époque de la renaissance a été si grand, que les esprits ont été longs à se déshabituer d’opinions traditionnelles, qui pourtant étaient des erreurs. Non, le livre de Pline n’est pas préférable à la plupart des livres originaux qui traitent des mêmes matières : Pline n’a fait que compiler et abréger, et il n’y a aucune comparaison à établir entre lui et ceux qui, ayant étudié par eux-mêmes la nature, consignèrent le résultat de leurs recherches dans leurs écrits. Mettre Pline en regard d’Aristote, c’est mettre en regard deux hommes qui n’ont rien de commun. On a quelquefois appelé Buffon le Pline français ; cela était dit sans doute à bonne intention et comme une louange : mais si Buffon n’avait été qu’un Pline, il n’aurait pas marqué dans la science par ses travaux, par ses descriptions, par ses idées neuves, hardies et compréhensives ; car il n’eût été qu’un compilateur scientifique, et, à vrai dire, un compilateur d’un ordre inférieur, n’ayant par lui-même aucune connaissance des objets dont il traite. Ce qu’on peut accepter dans le jugement de Buffon, c’est cette certaine liberté d’esprit qui se manifeste dans Pline. Pline en effet est au-dessus de beaucoup de préjugés ; un peu plus loin, j’essayerai d’indiquer dans quelles limites.

Le jugement de Cuvier (Biographie universelle, tome XXXV) est beaucoup plus juste : « L’ouvrage de Pline est un des monuments les plus précieux que l’antiquité nous ait laissés, et la preuve d’une érudition étonnante dans un homme de guerre et un homme d’État. Pour apprécier avec justice cette vaste et célèbre composition, il est nécessaire d’y distinguer le plan, les faits et le style. Le plan en est immense : Pline ne se propose point d’écrire seulement une histoire naturelle dans le sens restreint où nous prenons aujourd’hui cette science, c’est-à-dire un traité plus ou moins détaillé des animaux, des plantes et des minéraux ; il embrasse l’astronomie, la physique, la géographie, l’agriculture, le commerce, la médecine et les arts, aussi bien que l’histoire naturelle proprement dite, et il mêle sans cesse à ce qu’il en dit des traits relatifs à la connaissance morale de l’homme et à l’histoire des peuples ; en sorte qu’à beaucoup d’égards cet ouvrage était l’encyclopédie de son temps… Il était impossible qu’en parcourant, même rapidement, ce nombre prodigieux d’objets, l’auteur ne fit connaître une multitude de faits remarquables, et devenus pour nous d’autant plus précieux, qu’il est aujourd’hui le seul écrivain qui les rapporte. Malheureusement la manière dont il les a recueillis et exposés leur fait perdre beaucoup de leur prix, par le mélange du vrai et du faux qui s’y trouvent en quantité presque égale, mais surtout par la difficulté et même, dans la plupart des cas, l’impossibilité de reconnaître de quels êtres il a précisément voulu parler. Pline n’a point été un observateur tel qu’Aristote, encore moins un homme de génie capable, comme ce grand philosophe, de saisir les lois et les rapports d’après lesquels la nature a coordonné ses productions ; il n’est en général qu’un compilateur, et même le plus souvent un compilateur qui, n’ayant point par lui-même d’idées des choses sur lesquelles il rassemble les témoignages des autres, n’a pu apprécier la vérité de ces témoignages, ni même toujours comprendre ce qu’ils avaient voulu dire. C’est, en un mot, un auteur sans critique, qui, après avoir passé beaucoup de temps à faire des extraits, les a rangés sous certains chapitres, en y joignant des réflexions qui ne se rapportent point à la science proprement dite, mais offrent alternativement les croyances les plus superstitieuses, ou les déclamations d’une philosophie chagrine qui accuse sans cesse l’homme, la nature, et les dieux eux-mêmes. Si Pline a pour nous aujourd’hui peu de mérite comme critique et comme