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NOTICE SUR PLINE ix


les objets d'art; le compte rendu de son édilité, où Frontin puisait peut-être quelques années plus tard. Malgré l'immense quantité de faits recueillis dans l'Histoire naturelle, Pline n'est pas toujours un simple compilateur; il sait juger aussi quelquefois, par exemple dans les résumés de quelques biographies importantes comme celles de Cicéron, d'Agrippa, d'Auguste, dans la dernière surtout, qui contient plusieurs traits inconnus d'ailleurs, et qu'on peut encore compléter par une foule d'anecdotes sur le ménage, les maladies, les petites superstitions de l'empereur; sur sa table, sur sa toilette, sur son luxe public et sa simplicité privée; enfin sur quelques personnages de sa famille ou de sa cour, comme Livie, la première Agrippine, la première Julie; M. Lollius, le gouverneur du jeune C. César, Tarius Rufus, soldat de fortune, enrichi par son maître, et même élevé jusqu'au consulat, mais qui se ruina bientôt dans des entreprises agricoles.

« En résumé, après les historiens proprement dits, Pline est l'auteur qu'il importe le plus de consulter, non seulement sur les personnages politiques de ce temps, mais encore sur des personnages secondaires quelquefois inconnus d'ailleurs, et sur une foule de faits généraux qui servent à composer le tableau du grand siècle. Ainsi qu'on l'a déjà observé, l'aspect le plus intéressant du règne d'Auguste n'est pas l'aspect dramatique. L'organisation pacifique de la conquête fut l'œuvre d'Auguste, comme l'abaissement de l'aristocratie et le triomphe du peuple avaient été l'œuvre de César. Or, c'est Pline surtout qui nous montre et la grandeur de l'empire et la complication des ressorts qui le faisaient mouvoir, tous les principes de corruption qui le travaillaient à l'intérieur, et toutes les ressources dont l'administration impériale disposait contre les dangers du dehors et ceux du dedans. C'est chez lui qu'on peut le mieux suivre, dans les différentes branches de la vie publique, le progrès ou la décadence de Rome. Mais pour cela il ne faut se borner ni aux anecdotes, ni aux portraits, ni aux résumés biographiques; il faut savoir apprécier certains faits qui ne portent ni date ni nom. Je n'en citerai qu'un exemple pour finir : l'histoire de la propriété territoriale en Italie et dans les provinces, esquissée avec une énergique précision au commencement du dix-huitième livre, est terminée par ce trait expressif : Verum confitentibus latifundia perdidere Italiam, jam vero et provincias (A dire vrai, les grandes propriétés ont perdu l'Italie, et déjà même les provinces). Le mal s'était consommé sous les yeux de Pline; mais la transformation de la république en monarchie avait surtout contribué à le rendre incurable; sous Auguste, Horace en signalait déjà les symptômes. Remarquons d'ailleurs que sur de tels sujets Pline prononce avec toute connaissance de cause. Si dans l'histoire des arts il se trompe souvent, faute de goût et d'études spéciales , en fait de statistique le savant qui fut consul, général d'armée, commandant d'une flotte, garde une incontestable autorité; et l'on ne s'étonne pas de voir son témoignage confirmé par les plus antiques monuments de l'Italie an-


cienne ([1]) (Examen critique des historiens anciens de la vie et du règne d'Auguste, sect. vit, p. 183). »

Il faut ajouter à ces considérations de M. Egger, lesquelles font si bien ressortir le mérite relatif de Pline, que ce personnage vécut dans la plus haute société de Rome, et que, même à l'égard de Titus et de Vespasien, il fut ce que les Romains appelaient être dans l'amitié du prince, in amicitia principum. Cette circonstance le mit à même d'être bien informé sur une foule de particularités et d'anecdotes, c'est-à-dire, de savoir ce que savaient les hommes qui avaient approché des empereurs précédents, ou vécu dans le grand monde. A mon sens, Pline mérite une confiance toute spéciale pour les faits de ce genre qu'il a consignés dans son livre. Bien informé, sans préjugé pour toutes les choses de ce genre, d'ailleurs plein de probité et d'honneur, on peut s'en rapporter à ses dires.

Pline est aussi une mine de renseignements pour l'archéologue et celui qui s'occupe de l'histoire des arts. Cinq livres de son ouvrage sont consacrés à énumérer les artistes principaux et leurs oeuvres les plus belles dans la peinture, dans la sculpture, dans l'architecture, dans la ciselure. Quoiqu'il ait commis là aussi bien des erreurs, rien ne peut cependant remplacer ce catalogue. Il est fâcheux que Pline ne nous ait pas transmis une histoire de la musique et des musiciens. Mais comme il ne parle de la peinture et de la sculpture qu'à propos des substances, qui, telles que les marbres, les métaux, les couleurs, sont employées par les arts, il n'a pas rencontré d'occasion de traiter de la musique, laquelle semblait ne tenir à rien de matériel.

Pline déclare dans sa préface avoir puisé dans plus de deux mille volumes les matériaux de son Histoire naturelle. De ces deux mille volumes lus et consultés par lui, combien sont parvenus jusqu'à nous ? Presque tous ont péri, et dès lors on comprend combien est précieux un livre qui renferme des extraits de tant de livres anéantis. La perte de l'ouvrage de Pline, s'il n'était pas venu jusqu'à nous, aurait fait une sensible et regrettable lacune dans la littérature ancienne, déjà si maltraitée par le temps. On peut dire que l'intérêt que présenta toujours le livre de Pline l'a sauvé de la destruction ; les copies manuscrites en sont fort nombreuses, et beaucoup de mains, dans le cours des siècles, se sont occupées à reproduire et à perpétuer cet ouvrage qui alimentait la curiosité, et, on le croyait, aussi la science.

On a vu, par les citations rapportées plus haut, combien dans ces derniers temps a été sévère le jugement des naturalistes les plus compétents. Ici la réputation même de Pline, et, si je puis ainsi parler, l'étiquette du sac, lui ont grandement fait tort. Il passait dans l'opinion commune pour un naturaliste véritable, et pour un digne représentant de la science antique : lorsque sans préjugé aucun on en

  1. (01) Voyez surtout l'inscription récemment découverte à Viterbe, et publiée dans les Annales de l'Institut archéologique, t. 1, p. 672. D'après ce curieux document, un aqueduc d'environ 4000 pas ne traversait dans son parcours que sept propriétés.