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à la mer ! mais on peut prendre pied, elle s’en tirera aisément : bravo ! Voyez-vous comme la lame l’a jetée hors de la barque ? Elle se relève, elle s’avance par ici ; tout va bien. Et l’autre, elle a sauté à terre ; d’effroi elle tombe à genoux dans les vagues ! Elle est sauvée, la voilà sortie de l’eau, elle a touché le rivage. Mais elle s’en va là sur la droite, elle se perdra. Ah ! elle va s’égarer.

DÉMONÈS. Qu’est-ce que cela te fait ?

SCÉPARNION. Si elle tombe au bas du rocher où elle veut grimper, elle n’aura pas la peine de continuer son voyage.

DÉMONÈS. Si tu comptes sur elles pour ton souper, Scéparnion, occupe-toi d’elles, rien de mieux ; mais si tu veux manger chez moi, c’est de moi qu’il faut t’occuper.

SCÉPARNION. Vous avez bien raison.

DÉMONÈS. Suis-moi donc par ici.

SCÉPARNION. Je vous suis.


SCÈNE III. — PALESTRA.


Ce qu’on raconte de nos infortunes, à nous pauvres mortels, est bien au-dessous de l’amère réalité de nos souffrances. Est-ce donc le bon plaisir de quelque dieu que je sois jetée, dans cet équipage, toute tremblante, sur une terre inconnue ? Malheureuse, faut-il croire que j’étais née pour cela ? Est-ce là le prix des plus nobles sentiments ? Je ne me plaindrais pas d’endurer cette épreuve, si j’avais été coupable envers mes parents ou envers les dieux ; mais quand j’ai tout fait pour m’en préserver, quelle indignité, quelle injustice, quelle barbarie, ô dieux, de me traiter ainsi ! Que gardez-vous donc aux impies, si c’est comme cela que vous récompensez l’innocence ? Si je savais que mes parents ou moi nous eussions commis quelque faute, je ne gémirais pas tant ; mais c’est la scélératesse de mon maître qui me poursuit, c’est son impiété qui m’accable : il a perdu en mer son vaisseau et tout ce qu’il avait. De ses biens il ne reste que moi ; celle qui était montée avec moi dans la barque en est tombée : je suis seule à présent. Si du moins elle avait été sauvée, ses soins adouciraient ma peine. Quel espoir, quel secours ? quel parti prendre ? Je me trouve dans une contrée déserte ! Ici des rochers, là une mer retentissante, et pas une figure humaine ne se présente à moi. Ces vêtements que je porte, voilà toutes mes ressources, et je ne sais où chercher de la nourriture, un abri. Quelle espérance pourrait me faire sou-