trez maintenant, vous voudrez l’embrasser, lui parler, la caresser.
DÉMIPHON. Ma pensée est en vous ; vous savez ce que je compte faire.
LYSIMAQUE. Vous ferez fort mal.
DÉMIPHON. Quand on est amoureux ?
LYSIMAQUE. Raison de plus. Quoi ! vieux bouc, le ventre creux, l’haleine puante, vous iriez embrasser une femme ! Est-ce pour la faire vomira votre approche ?
DÉMIPHON. À ces belles remontrances je vois assez que le cœur vous en dit. Mais enfin si vous croyez qu’il n’y ait que cela à faire, prenons un cuisinier et faisons-nous faire chez vous un dîner qui durera jusqu’au soir.
LYSIMAQUE. Hé ! c’est mon avis. Voilà parler en sage et en amoureux.
DÉMIPHON. Que tardons-nous ? allons acheter les provisions pour nous bien régaler.
LYSIMAQUE. Je vous suis. Et, ma foi, si vous faites bien, vous lui chercherez aussi un logement. Elle ne restera pas chez moi plus longtemps qu’aujourd’hui ; je craindrais que ma femme, en revenant demain de la campagne, ne la trouvât ici.
DÉMIPHON. Tout est déjà prêt ; venez.
SCÈNE IV. — CHARINUS, EUTYQUE.
CHARINUS. Suis-je assez malheureux ? je ne puis avoir un instant de repos. Si je suis à la maison, mon esprit est dehors ; si je suis dehors, mon esprit est à la maison : tant l’amour embrase ma poitrine et mon cœur ! Si les larmes ne la préservaient, ma tête serait déjà tout en feu. J’ai encore l’espoir, mais je n’ai plus la vie : reviendra-t-elle ou non ? je l’ignore. Si mon père prend l’avance, comme il l’a dit, c’est fait de mon existence ; si mon ami a tenu sa promesse, je renais. Mais enfin, quand même Eutyque aurait des jambes de goutteux, il devrait déjà être revenu du port. C’est bien mal à lui d’être si lent, cela me contrarie… Eh ! n’est-ce pas lui que je vois courir ? C’est lui-même, allons à sa rencontre. O toi[1], témoin des hommes et des dieux, souveraine des mortels, toi qui m’offres cet espoir tant désiré, je te rends grâces. Eh quoi, il s’arrête ! ah ! c’est fait de moi ; sa mine ne me revient pas ; sa démarche est
- ↑ La Fortune.