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LE CUISINIER. Prétendez-vous trouver un cuisinier qui n’ait pas les griffes d’un milan ou d’un aigle ?

BALLION. Prétends-tu aller cuisiner chez le monde sans qu’on te serre les griffes tandis que tu fais tes ragoûts ? (A un esclave.) Toi qui es à mon service, je te commande de rentrer bien vite toutes nos affaires, d’avoir les yeux de ce drôle dans tes yeux, de regarder où il regarde, d’aller où il ira. S’il allonge la main, allonge-la aussi. S’il prend quelque chose à lui, laisse-le prendre ; si c’est à nous, tiens-le d’un bout. S’il marche, marche ; s’il reste en place, restes-y. S’il se baisse, accroupis-toi. Et je donnerai aussi à ses élèves des surveillants, un à chacun.

LE CUISINIER. Soyez donc tranquille.

BALLION. Eh ! dis-moi, comment puis-je être tranquille quand je t’amène chez moi ?

LE CUISINIER. C’est qu’aujourd’hui avec mes ragoûts je ferai comme Médée, quand elle mit à la casserole le bonhomme Pélias ; on dit qu’au moyen de drogues et d’herbes connues d’elle, elle rajeunit le vieux barbon ; je vous en ferai autant.

BALLION. Tu es donc empoisonneur aussi ?

LE CUISINIER. Non pas, mais plutôt conservateur de l’espèce humaine.

BALLION. Attends : combien me prendras-tu pour m’enseigner une seule recette ?

LE CUISINIER. Laquelle ?

BALLION. Le moyen de te surveiller assez pour que tu ne me dérobes rien.

LE CUISINIER. Si vous avez confiance, deux drachmes ; sinon, je ne voudrais pas même pour une mine. Mais traitez-vous ce soir des amis ou des ennemis ?

BALLION. Eh, des amis, je pense.

LE CUISINIER. Invitez vos ennemis plutôt que vos amis. Car j’apprêterai un tel souper à vos convives, je l’accommoderai si délicieusement, qu’on ne touchera pas à un de mes plats sans se manger le bout des doigts.

BALLION. Fais-moi le plaisir, avant de rien servir, de goûter tes sauces toi-même et de les faire goûter à tes mitrons, pour que vous mangiez vos mains larronnesses.

LE CUISINIER. Vous ne croyez peut-être pas ce que je vous dis.

BALLION. Ne m’ennuie pas ; tu ne fais déjà que trop aller ta crécelle, c’est fatigant. Çà, voici ma maison, entre et prépare activement ton dîner.