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tant il y a de trouble et d’incertitude en mon esprit. Tantôt le conseil de mon esclave me plaît, et tantôt c’est le contraire. Il me semble impossible de faire croire à mon père que c’est une servante achetée pour ma mère. Si je dis la vérité, si j’avoue que je l’ai achetée pour moi, quelle opinion aura-t-il de son fils ? Il me l’arrachera, il la fera vendre de l’autre côté de la mer. Je sais, pour l’avoir éprouvé, combien il est sévère. Est-ce donc là aimer ? plutôt labourer la terre que d’aimer de la sorte. Il m’a déjà éloigné une fois bien malgré moi de la maison, il m’a envoyé faire le commerce, et j’y ai trouvé mon malheur. Quand la peine l’emporte sur le plaisir, quel charme reste-t-il ? En vain je l’ai cachée, resserrée, renfermée ; mon père est une fine mouche, On ne peut rien lui dérober. Il n’y a rien de si sacré, rien de si profane, où il ne vienne tout de suite fourrer le nez ; je ne compte plus sur rien, je n’ai plus une lueur d’espérance dans le cœur.

DÉMIPHON, à part. Qu’a donc mon fils à s’entretenir ainsi tout seul ? Il paraît inquiet, je ne sais pourquoi.

CHARINUS. Dieux ! c’est mon père que j’aperçois ; avançons, parlons-lui. Comment vous portez-vous, mon père ?

DÉMIPHON. D’où viens-tu ? où vas-tu si vite, mon enfant ?

CHARINUS. Vous êtes bien bon, mon père.

DÉMIPHON. Je veux l’être aussi. Mais pourquoi changes-tu de couleur ? est-ce que tu souffres ?

CHARINUS. J’éprouve je ne sais quel malaise, mon père. Et puis cette nuit je n’ai pas bien dormi.

DÉMIPHON. Après une traversée, la vue de la terre étonne un peu les yeux ; ce doit être cela.

CHARINUS. Certainement ; mais cela va se passer.

DÉMIPHON. Par Pollux, tu pâlis ; si tu es sage, rentre à la maison et couche-toi.

CHARINUS. Je n’ai pas le temps, je veux faire mes commissions.

DÉMIPHON. Fais-les demain, après-demain.

CHARINUS. Je vous l’ai souvent entendu dire, mon père, un homme raisonnable commence par s’inquiéter de ce dont il s’est chargé.

DÉMIPHON. Soit donc, je ne veux pas te contrarier.

CHARINUS, à part. Je suis sauvé, si je peux toujours compter sur cette bonne parole.

DÉMIPHON. Pourquoi se consulte-t-il comme cela tout seul ? Je ne crains pas encore qu’il ait pu apprendre ma passion.