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amassé le bien qu’il avait. Je ferais de même, si j’étais ce que je devais être.

Moi, dès que je vois que mon père m’a pris en grippe, et que je me fais détester de celui à qui j’aurais dû plaire, l’esprit égaré, le cœur plein d’amour, je prends de mon mieux mon grand parti, je lui déclare que j’irai faire le commerce, s’il y consent, et que je dis adieu à l’amour, pour lui faire plaisir. Il me remercie, il loue ma résolution, mais il ne manque pas de me faire tenir parole. Il construit un grand bâtiment, achète des marchandises, les embarque quand le vaisseau est prêt ; il me compte un talent de sa propre main ; il envoie avec moi, pour me servir de gardien, un esclave qui, dès ma plus tendre enfance, avait été mon gouverneur. Tout cela terminé, nous mettons à la voile, nous venons à Rhodes, où je vends comme je veux tout ce que j’avais apporté de marchandises ; je réalise un gros gain, bien au delà de l’estimation que mon père avait faite de la cargaison : et ainsi ma bourse se trouve bien garnie. Un jour que je me promenais sur le port, un hôte de mon père me reconnaît, m’invite à souper. J’y vais, je me mets à table, on me fait bonne mine, on me traite magnifiquement. La nuit venue, nous allons nous coucher, et voici qu’une femme, oh ! la plus belle des femmes, me vient trouver : elle passe la nuit avec moi par ordre de mon hôte. Jugez vous-même à quel point elle me plait ! le lendemain je vais trouver mon hôte, je le prie de me la vendre. Je proteste de ma reconnaissance, de mon dévouement après un tel bienfait. Enfin, sans tant de paroles, je l’achète, et je l’ai amenée hier. Je ne veux pas que mon père le sache. Je l’ai laissée au port, sur le vaisseau, avec un petit esclave. Mais pourquoi accourt-il de ce côté, quand je lui ai défendu de descendre à terre ? Je crains quelque mésaventure.


SCÈNE II. — ACANTHION, CHARINUS.


ACANTHION, sans voir Charinus. Courage, Acanthion, et fais feu des quatre pieds pour sauver ton jeune maître. Çà, chasse la fatigue, ne te laisse pas aller à la paresse ; repousse à tour de bras, écarte, bouscule ceux qui se trouvent sur ton passage. On a ici une bien vilaine mode : vous courez, vous êtes pressé, personne ne daigne se déranger pour vous. Aussi, quand on veut faire une chose, il en faut faire trois : courir, faire le coup de poing et se disputer en route.