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soin de ses intérêts ? Crois-tu donc que ce soit le devoir d’un bon serviteur, de perdre et la fortune et le fils de son maître ? Car à mes yeux il est perdu, maintenant qu’il tient une pareille conduite, lui qui jusque-là était le plus modeste, le plus rangé de toute la jeunesse d’Athènes ; mais aujourd’hui il remporte une palme d’un autre genre ; c’est à ton aide, c’est à tes leçons qu’il la doit.

TRANION. Qu’as-tu besoin, drôle, de t’occuper de moi, de ce que je fais ? N’as-tu pas aux champs des bœufs à soigner ? Il me plaît de boire, de faire l’amour, de courir les filles. C’est mon dos que je risque, et non pas le tien.

GRUMION. Quelle audace ! fi !

TRANION. Que Jupiter et tous les dieux te confondent ! tu empoisonnes l’air. C’est un vrai fumier, un rustre, un bouc, une étable à porcs, le produit d’une chienne et d’un bélier.

GRUMION. Que veux-tu que j’y fasse ? Tout le monde ne peut pas, comme toi, sentir les parfums étrangers, ni tenir la place d’honneur à table, ni vivre joyeusement comme tu fais. Garde tes pigeons, tes poissons, tes oiseaux, et laisse-moi manger mon ail et supporter ma condition. Tu es heureux, je suis misérable : il faut se résigner. Chacun aura son lot, moi la récompense, toi le châtiment.

TRANION. Tu as l’air d’être jaloux, Grumion, de ce que je me régale tandis que tu as maigre pitance ; mais rien de plus juste. Il me sied à moi de faire l’amour, à toi de paître les bœufs, à moi de faire bombance, à toi de vivre misérablement.

GRUMION. Crible des bourreaux, car tu le seras, je l’espère, tant ils te perceront d’aiguillons en te promenant dans les rues le carcan au cou, si notre vieux maître revient…

TRANION. Et que sais-tu si cela ne t’arrivera pas avant moi ?

GRUMION. C’est que je ne l’ai jamais mérité, tandis que toi tu l'as mérité et tu le mériteras.

TRANION. Abrège ton discours, si tu ne veux pas qu’on te rosse d’importance.

GRUMION. Me donnerez-vous du fourrage pour mes bœufs ? Si vous ne voulez pas, donnez-moi de l’argent… Allons,continuez comme vous avez commencé ; buvez à la grecque, mangez, bourrez-vous, emplissez-vous la panse.

TRANION. Tais-toi et retourne aux champs. Moi je vais au Pirée acheter du poisson pour ce soir. Je te ferai porter demain du fourrage à la ferme. Eh bien, qu’as-tu à me regarder ainsi, pendard ?