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extravagants, impatience, désirs, malveillance ; de plus encore cupidité, paresse, injustice, pauvreté, affronts, dépenses, bavardage, taciturnité, parce que l’amoureux dit souvent à contre-temps des choses inutiles et insignifiantes ; et j’ai ajouté la taciturnité, parce que nul ne sait parler assez à propos pour dire ce qui pourrait lui servir. Quant à mon bavardage, ne vous en plaignez pas ; Vénus m’en a fait cadeau en même temps que de l’amour. Mais revenons à ce que je voulais dire.

Je ne fus pas plus tôt sorti de l’enfance, je n’eus pas plus tôt renoncé aux goûts des premiers ans, que je me pris ici d’une belle passion pour une courtisane ; et vite l’argent de mon père fila tout doucettement chez elle. Un bourreau de marchand, son maître, me harcelait sans relâche et tirait de moi tout ce qu’il pouvait. Mon père, de m’adresser jour et nuit des reproches, de me remontrer la perfidie, la déloyauté du marchand, son bien qui se gaspillait pour aller grossir celui de l’autre. Tout cela avec de grands cris ; puis il marmottait entre ses dents, secouait la tête en me reniant pour son fils, et s’en allait déblatérer par toute la ville, recommandant qu’on se gardât bien de me prêter ; que l’amour avait entraîné trop de gens à leur ruine ; que j’étais un prodigue, un vaurien, un débauché, que je le dépouillais, que je soutirais de chez lui tout ce que je pouvais ; que c’était une conduite indigne de dissiper et dilapider dans de folles amours le bien qu’il avait amassé à force de sueurs ; j’étais un garnement qu’il nourrissait depuis trop longtemps et qu’il voudrait voir mourir, si je ne rougissais enfin de mes écarts. Pour lui, dès qu’il était devenu un jeune homme, il ne s’était pas abandonné paresseusement comme moi à l’amour et à l’oisiveté ; d’ailleurs il ne l’aurait pu, tant son père le tenait de près ; on l’avait occupé sans cesse aux travaux grossiers des champs ; tous les cinq ans seulement il pouvait venir à la ville, et dès qu’il avait vu le péplum[1], aussitôt son père le renvoyait à la campagne. Là il travaillait beaucoup plus que les domestiques, car son père lui avait dit : « C’est pour toi que tu laboures, pour toi que tu herses, que tu sèmes, pour toi encore que tu moissonnes ; un jour ces fatigues te seront fécondes en joies. » Après la mort de son père, il avait vendu sa terre, acheté un vaisseau de trois cents tonneaux, et transporté de tous côtés des marchandises, jusqu’à ce qu’il eût

  1. Voile de Minerve ; on l’exposait aux grandes Panathénées, qui se célébraient tous les cinq ans.