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SCÈNE III. — LE DIEU SECOURS.

Quel moulin à paroles, quel sac à vin que cette vieille guenon. À peine si elle m’a laissé quelque chose à dire, à moi qui suis un dieu, tant elle s’est pressée de vous faire l’histoire de cet enfant supposé. Si elle avait tenu sa langue, je vous aurais tout raconté : une divinité pouvait expliquer mieux les choses. Je me nomme le Dieu Secours ; prêtez-moi attention, je veux vous exposer clairement le sujet de cette comédie. On fêtait une fois à Sicyone les Dionysiaques ; un marchand de Lemnos vient voir les jeux et fait violence à une jeune fille en pleine rue : il était tout jeune encore, un peu gris, et il faisait noire nuit. Puis il reconnaît qu’il s’est fait là une fâcheuse affaire, prend ses jambes à son cou et se sauve à Lemnos, où il demeurait alors. Celle qu’il avait violée, au bout de ses dix mois, accouche d’une fille. Comme elle ne savait à qui s’en prendre, elle met dans sa confidence un esclave de son père et lui donne l’enfant pour l’exposer et le laisser mourir. L’esclave abandonne la petite ; la vieille la prend ; mais l’esclave faisait sentinelle pour bien voir où et dans quelle maison on porterait l’enfant. Notre vieille, vous avez entendu son propre aveu, donne la petite fille à la courtisane Mélénis, qui l’a élevée honnêtement comme son enfant. Quant à notre Lemnien, il épouse une de ses proches parentes. Celle-ci, en femme complaisante, meurt. Le mari l’enterre et vient s’établir ici ; il se marie avec la jeune fille qu’il avait violée dans le temps, et la reconnaît. Elle lui révèle que, par suite de cette mésaventure, elle est accouchée d’une fille et qu’elle l’a donnée sur-le-champ à un esclave pour l’exposer. Aussitôt notre homme commande à ce même esclave de faire des recherches et de mettre la main, s’il se peut, sur la femme qui a recueilli l’enfant. Jusqu’à ce jour, l’esclave s’en est occupé activement ; il essaye de retrouver cette courtisane qu’il a vue jadis, pendant qu’il faisait le guet, enlever la petite créature abandonnée par lui. Quant au reste, je vais aussi solder mon compte, afin d’être quitte et de ne devoir rien. Il y a ici, à Sicyone, un jeune homme dont le père vit encore. Il se meurt d’amour pour cette enfant trouvée, qui vient de s’en aller en pleurant rejoindre sa mère, et il est également aimé d’elle : quoi de plus délicieux que cette mutuelle tendresse ? Mais rien de stable n’a été donné aux mortels. Le père veut établir son fils ; la mère de Silénie ne l’a pas plus tôt appris qu’elle rappelle