NICOBULE. Eh ! d’où vient ce mépris ?
CHRYSALE. Il est si riche ! il ne sait que faire de son or.
NICOBULE. Il n’a qu’à me le donner. Mais voyons, en présence de qui ce dépôt a-t-il été remis à Théotime ?
CHRYSALE. En présence de tout le monde : il n’y a personne à Éphèse qui ne le sache.
NICOBULE. Mon fils a du moins fait preuve d’esprit en confiant notre or à un homme si riche : on pourra se le faire rendre dès qu'on voudra.
CHRYSALE. Oh ! pour cela, vous êtes sûr et certain de l’avoir le jour même de votre arrivée.
NICOBULE. Je croyais bien, à mon âge, vieux comme je suis, n’avoir plus rien à démêler avec la vie maritime ; mais, je le vois, bon gré mal gré, il m’en faudra tâter encore, grâce à mon aimable hôte, à cet Archidémide. Çà, où est en ce moment mon fils Mnésiloque ?
CHRYSALE. Il est allé sur la place rendre ses devoirs aux dieux et à ses amis.
NICOBULE. Je vais vitement le rejoindre. (Il sort.)
Bon ! il a sa charge, et plus qu’il n’en peut porter. Voilà une trame bien ourdie pour mettre à son aise notre jeune amoureux. Il peut prendre de l’or tant qu’il en voudra et rendre à son père selon ce que le cœur lui en dira. Le bonhomme s’en ira pour toucher son argent à Éphèse, et nous, nous mènerons ici joyeuse vie, s’il ne lui prend pas fantaisie de nous emmener, Mnésiloque et moi. Comme je vais tout mettre sens dessus dessous ! Mais qu’arrivera-t-il quand le vieux aura découvert le mystère ? quand il saura qu’il a fait une course inutile, et que nous avons dépensé son or ? A quoi dois-je m’attendre ? Certes, en débarquant, il me fera changer de nom, et, au lieu de Chrysale, je m’appellerai Crucisaltor[1]… Ma foi, je me sauverai, si j’y trouve mon profit ! Et que l’on me rattrape : je la lui garde belle : s’il a des verges à la campagne, moi j’ai ici un bon dos... Mais allons instruire notre jeune maître de tout ce que j’ai imaginé pour cet argent et pour sa chère Bacchis que nous avons retrouvée.
- ↑ C’est-à-dire, qui danse sur la croix.