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brûle de ses feux les plus ardents : là, il sépare deux montagnes, et, rompant cette barrière de l’Océan, il ouvre un large passage à ses ondes. De là pénétrant dans les riches forêts des Hespérides, il ravit les trésors que gardait un dragon vigilant. N’a-t-il pas détruit par le feu l’hydre toujours renaissante, et donné la mort à ce monstre qui semblait immortel ? Ses flèches jusque dans les nues ont atteint les oiseaux du Stymphale, qui de leurs ailes déployées obscurcissaient le jour. Cette fière ennemie de l’hymen, la reine vierge du Thermodon, a senti le pouvoir de ses armes. Enfin ses mains glorieuses, après tant de hauts faits, n’ont pas dédaigné l’ignoble tâche de purifier les étables d’Augias.

Mais que lui revient-il de tous ces travaux ? Le voilà banni du monde qu’il a défendu. La terre, qui lui devait la paix, ne s’aperçoit que trop de son absence. Le crime heureux usurpe le nom de vertu ; les bons sont opprimés par les méchants ; la force fait le droit ; les lois se taisent devant la violence. Mes yeux ont vu mes frères impitoyablement massacrés en défendant le trône de son père ; j’ai vu périr jusqu’au dernier de l’illustre race de Cadmus. La couronne a été ravie à mon père, entraînant dans sa chute la tête auguste qui la portait. O déplorable Thèbes ! toi qui donnas le jour à tant d’immortels, sous quel maître es-tu réduite à trembler ? Toi dont le sein fertile enfanta des phalanges armées, dont un fils de Jupiter, Amphion, a construit les murailles par le seul pouvoir des sons de sa lyre ; pour qui le père des dieux quitta souvent les régions éthérées ; dont l’heureux séjour tant de fois attira les dieux sur la terre ; qui as donné et, j’ose le dire, donneras encore des habitants à l’Olympe, sous quel joug avilissant es-tu donc tombée ? Race de Cadmus, cité d’Amphion, eh quoi ! vous craignez un lâche, un banni ? Le rebut de sa propre patrie devient l’oppresseur de la nôtre ? Et ce héros qui poursuit le crime et sur la terre et sur les mers, dont la main vengeresse brise le sceptre aux mains des tyrans, on l’opprime en son absence ; il lui faut subir ce qu’il a réprimé. Lycus, un vagabond, trône insolemment dans la Thèbes d’Hercule ! Le héros va revenir, et va punir. On le verra soudain reparaître sur la terre. Il saura bien retrouver son chemin, ou, s’il le faut, s’en ouvrir un lui-même.

Ah ! reviens, reviens, je t’en conjure. Rentre en vainqueur dans ta maison vaincue. Sors du gouffre infernal : quêta main dissipe les ténèbres. La voie est-elle fermée et le retour interdit ? eh bien ! perce la voûte du globe, dusses-tu mettre au grand jour tout ce que recèle le séjour de la mort. Tu as bien pu jadis creuser le lit d’un fleuve en déchirant une montagne, et créer du même coup le vallon de Tempé. Poussé par ta vaste poitrine, un mont s’écarte à droite, un mont s’écarte à gauche, et la voie est ouverte à l’impétueux torrent de la Thessalie. Qu’un semblable effort aujourd’hui te rende à ton père, à tes enfants, à ta patrie ! Romps la voûte de l’abîme où tout vient finir ; qu’il regorge tout ce qu’il a dévoré depuis le commencement des siècles ; et que le peuple des mânes, peuple sans souvenirs, et tremblant à la seule vue du jour, soit chassé devant toi. Exécuter simplement un ordre donné, c’est trop peu pour Hercule.

Mais je parle trop haut pour qui ne sait quel sort l’attend. Hélas ! quand pourrai-je, cher époux, toucher ta main, te serrer dans mes bras, me plaindre à toi de ta longue absence et de ton oubli ? O souverain des dieux, qu’il revienne, et je te voue cent taureaux indomptés ! Déesse des moissons, j’accomplirai tes rites sacrés dans la mystérieuse Eleusis ;