La collection des dix tragédies attribuées communément à Sénèque le Tragique, paraît avoir été l’ouvrage du célèbre philosophe Lucitis Annæus Sénèque[1]. Les principaux motifs de cette opinion sont : 1° le passage dans lequel Quintilien cite les poésies de Sénèque[2], et celui de Tacite, où il est dit que Sénèque faisait souvent des vers, surtout depuis que le goût de la poésie était venu à Néron[3] ; 2° les passages, d’ailleurs assez vagues, des ouvrages mêmes de Sénèque, d’où il résulte qu’il s’occupait de poésie ; 3° les ressemblances frappantes entre les tragédies et les œuvres philosophiques, ressemblances d’idées, de développements, de style, qui font de certaines scènes des tragédies des paraphrases poétiques de quelques morceaux déclamatoires des œuvres philosophiques. Selon une autre opinion, cette collection, où l’on peut remarquer une assez grande inégalité de mérite entre les pièces, et quelques différences assez notables de manière et de style, serait l’œuvre de plusieurs mains, mais une œuvre de famille, à laquelle plusieurs membres de la famille Sénèque aurait concouru[4].
Quoi qu’il en soit, tout le monde est d’accord sur le mérite et le défaut de ces pièces. Ce sont des déclamations stoïciennes en vers destinées à être lues et non à être jouées, où l’auteur cherche des effets, non de théâtre, mais de style ; où le dialogué n’est qu’une lutte d’esprit ; où les descriptions superflues et les lieux communs déclamatoires abondent, principalement les critiques des mœurs du temps, que les rhéteurs d’alors appelaient convicium sæculi, où la vertu est violente, exagérée, les caractères uniformes, les femmes semblables aux hommes ; où il n’y a ni situation ni action : mais où de beaux sentiments bien exprimés, quelques traits véritablement tragiques, et, çà et là, des passages d’une poésie vigoureuse, quoique toujours trop tendue, peuvent réveiller l’attention trop souvent fatiguée par la monotonie d’un art qu’on appellerait plus justement un procédé.