lui donner de l’argent pour ses amours ; je veux lui en procurer ; je veux le servir ; je veux qu’il aime son père. Sa mère le tient à la gêne, comme font les parents ordinairement ; ce n’est pas là ma manière. Je lui sais gré d’ailleurs de s’être confié à moi ; je dois agir comme un si bon naturel le mérite. Il est venu me trouver si respectueusement !…
Lib., à part. La confidence m’étonne un peu ; et je crains le dénoûment de l’aventure.
Dém. Vraiment, je sais déjà toute la passion de mon fils. Je veux qu’il puisse faire quelque cadeau à sa maîtresse.
Lib. Je vois que vous désirez ce qu’il n’est pas en votre pouvoir d’accomplir. Votre femme a amené ici son esclave Sauréa, qui lui appartient comme faisant partie de sa dot[1], et cet esclave manie plus d’argent que vous, et a plus de pouvoir dans la maison.
Dém. J’ai reçu une dot ; j’ai vendu mon autorité pour une dot. Mais il faut que je te dise en peu de mots ce que j’attends de toi. Mon fils a besoin au plus tôt de vingt mines d’argent ; il faut que tu les lui trouves.
Lib. Eh ! où voulez-vous que je les prenne ?
Dém. En me volant.
Lib. Vous n’y pensez pas ; vous voulez que je déshabille un homme qui est tout nu ? que je vous dérobe. ? Essayez donc de voler sans ailes. Que je vous dérobe, vous qui n’avez rien, à moins que vous n’ayez d’avance escamoté quelque chose à votre femme ?
Dém. Fais de ton mieux ; trompe-moi, trompe ma femme, trompe le maître-d’hôtel Sauréa ; arrache de l’argent n’importe comment. Je te promets de ne t’en point vouloir, quelque chose que tu fasses.
Lib. Vous feriez aussi bien de m’ordonner de pêcher du poisson dans l’air, ou de prendre des sangliers dans la mer avec un filet.
Dém. Concerte-toi avec Léonide ; prends-le pour croupier ; inventez, mentez ; arrangez-vous enfin de manière que mon fils puisse avoir la somme qu’il désire pour la donner à son amie.
Lib. Hé ! dites-moi, mon maître, si je donne par malheur dans une embuscade, si je suis fait prisonnier parles ennemis, me rachèterez-vous ? me tirerez-vous d’affaire ?
Dém. Je t’en tirerai.
Lib. Alors laissez-moi faire, et pensez à tout ce qui vous plaira.
Dém. Moi, je vais à la place publique. Tu n’as plus rien à me dire ?
Lib. Non. Vous ne partez pas ?
Dém. Encore un mot.
Lib. Me voici.
Dém. Si j’ai besoin de toi, où te trouverai-je ? où vas-tu ?
Lib. Ma foi ! je vais partout où il me plaira d’aller. Je n’ai plus rien à craindre de personne, à présent que je connais bien vos intentions, et que vous m’avez fait votre confidence. Je me moquerai même de vous, si je réussis dans mon projet. Allons ; je continue ma route, et je vais me mettre à l’œuvre.
Dém. Écoute encore ; je serai chez le banquier Archibule.
Lib. Qui demeure sur la place ?
Dém. Oui, tu m’y trouveras, si tu as quelque chose à me dire.
Lib. Cela suffit, je m’en souviendrai. (Il sort.)
Dém. Il est impossible de trouver un esclave plus fripon que celui-là, un drôle plus adroit, et dont il soit plus difficile de n’être pas la dupe. D’un autre côté, si vous voulez que quelque chose soit bien fait, vous pouvez l’en charger ; il mourra plutôt que d’y manquer. Je suis aussi sûr qu’il me trouvera cet argent pour mon fils, que je le suis de tenir mon bâton. Mais il faut me rendre à la place
- ↑ L’esclave dotal, sur lequel le mari était sans pouvoir, surveillait la dot et les biens personnels de la femme.