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AE. Ensuite ?

MI. Cette fille a perdu son père. (655) Ce mien ami est son plus proche parent ; les lois veulent qu’elle l’épouse.

AE. (à part) C’est fait de moi.

MI. Qu’avez-vous ?

AE. Rien… Ce n’est rien… Continuez.

MI. Il est venu, pour l’emmener avec lui ; car il habite Milet.

AE. Comment ! pour emmener la jeune fille ?

MI. Oui.

AE. Jusqu’à Milet, dites-vous ?

MI. Sans doute.

AE. (à part) Je me trouve mal. (haut) (660) Et ces femmes, que disent-elles ?

MI. Que voulez-vous qu’elles disent ? Bien du tout. La mère cependant nous a fait un conte : que sa fille avait eu un enfant de je ne sais quel autre homme, qu’elle ne nomme pas ; que celui-ci devait avoir la préférence, et qu’on ne pouvait en épouser un autre.

AE. Eh ! mais, est-ce que cela ne vous semble pas juste, au bout du compte ?

MI. (665) Non.

AE. Comment, non ? Il l’emmènera donc, mon père ?

MI. Et pourquoi ne l’emmènerait-il pas ?

AE. C’est une cruauté, une barbarie, et même, s’il faut parler plus franchement, une indignité, mon père.

MI. Et pourquoi ?

AE. Vous le demandez ? Mais dans quel état pensez-vous (670) donc que sera ce malheureux, qui a vécu jusqu’à présent avec elle, qui l’aime…. éperdument peut-être, quand il se la verra arracher d’entre les bras, et enlever pour toujours ? Ah ! c’est indigne, mon père.

MI. Comment cela ? Qui a promis, qui a donné cette fille ? (675) A qui, quand s’est-elle mariée ? de quelle autorité ? Pourquoi avoir épousé la femme d’un autre ?

AE. Fallait-il qu’une fille de son âge attendît là, près de sa mère, qu’un parent s’en vînt de je ne sais où pour l’épouser ? Voilà, mon père, ce que vous deviez dire et faire valoir.

MI. (680) Vous êtes plaisant ! j’aurais été parler contre un homme dont j’étais venu soutenir les intérêts ! Mais qu’est-ce que cela nous fait à nous, Eschine ? Qu’avons-nous à démêler avec eux ? Allons-nous-en. Eh bien ! vous pleurez ?

AE. De grâce, mon père, écoutez-moi.

MI. J’ai tout entendu, mon fils ; je sais tout ; car je vous aime, et ma tendresse me fait tenir les yeux ouverts sur toutes vos actions.

AE. (685) Puissé-je la mériter toute votre vie, cette tendresse, ô mon père, comme il est vrai que je suis au désespoir d’avoir commis cette faute, et que j’en rougis pour l’amour de vous !

MI. Je le crois sans peine ; je connais votre bon naturel : mais j’ai peur qu’il n’y ait un peu d’étourderie dans votre fait. Dans quelle ville enfin croyez-vous donc vivre ? (690) Vous déshonorez une jeune fille, qu’il ne vous était pas même permis d’approcher. C’est déjà une faute grave, très grave, excusable pourtant ; bien d’autres que vous en ont fait autant, et des plus sages. Mais le malheur arrivé, dites-moi, vous êtes-vous retourné de façon ou d’autre ? Avez-vous songé seulement à ce qu’il fallait faire, aux moyens de le faire ? de m’en instruire, si vous aviez honte d’en parler vous-même ? (695) Au milieu de vos irrésolutions dix mois se sont écoulés. Vous avez compromis et vous-même, et cette malheureuse, et son enfant, autant qu’il était en vous. Quoi ! vous imaginiez-vous que les dieux feraient vos affaires pendant que vous dormiriez, et que sans vous donner la moindre peine, vous verriez un beau jour la