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l’affaire d’un bout à l’autre, comme elle s’est passée. Je n’ai jamais vu homme plus joyeux.

DE. (à part) Ah ! grands dieux ! quelle extravagance !

SY. Il a complimenté son fils, et il m’a fort remercié de lui avoir donné ce conseil.

DE. (370) (à part) J’étouffe.

SY. Sur-le-champ il nous a compté la somme, en y ajoutant une demi-mine pour faire bombance. Je puis dire que ses intentions ont été bien remplies.

DE. Ah ! ah ! si vous voulez qu’une commission soit bien faite, chargez en ce drôle.

SY. Hé ! c’est vous, Déméa ! je ne vous avais pas aperçu. Eh bien, quelles nouvelles ?

DE. (375) Quelles nouvelles ? Que je ne puis trop admirer votre conduite ici.

SY. A vrai dire, elle est passablement sotte et absurde, ma foi. —— Dromon, achève de vider ces poissons ; mais ce gros congre, laisse-le jouer un peu dans l’eau : quand je reviendrai, on le désossera. (380) Pas avant, je le défends.

DE. De pareils déportements !

SY. Je ne les approuve pas non plus. Et c’est ce qui me fait crier souvent. —— Stéphanion, aie soin de faire tremper les salaisons comme il faut.

DE. Grands dieux ! a-t-il donc pris à tâche ou tient-il à honneur de perdre mon fils ? Hélas ! (385) je crois déjà voir le jour où il n’aura plus d’autre ressource que d’aller s’enrôler quelque part.

SY. Ah ! voilà qui est sage, de ne pas voir seulement ce qu’on a devant les yeux, mais de regarder plus loin, dans l’avenir.

DE. Dis-moi : cette chanteuse est maintenant chez vous ?

SY. (390) Elle est là.

DE. Comment ! est-ce qu’il consentirait à la garder chez lui ?

SY. Je le crois assez fou pour cela

DE. Est-il possible ?

SY. Sotte bonté de père, complaisance absurde.

DE. En vérité, mon frère me désole et me fait honte.

SY. Quelle différence, Déméa (et ce n’est pas parce que vous êtes là que je le dis), quelle énorme différence entre vous deux ! (395) Vous, de la tête aux pieds, vous n’êtes que sagesse ; lui, c’est un songe creux. C’est bien vous qui laisseriez votre fils en faire autant !

DE. Le laisser faire ? Est-ce que je n’aurais pas éventé tous ses projets six mois d’avance ?

SY. C’est à moi que vous parlez de votre vigilance ?

DE. Qu’il soit toujours (400) ce qu’il est maintenant, c’est tout ce que je demande.

SY. Les enfants sont ce que l’on veut qu’ils soient.

DE. A propos, l’as-tu vu aujourd’hui ?

SY. Votre fils ? (à part) Je vais envoyer ma bête aux champs. (haut) Il y a longtemps, je pense, qu’il est occupé à votre maison de campagne.

DE. Es-tu bien sûr qu’il y soit ?

SY. Bon ! c’est moi-même qui l’ai conduit.

DE. Fort bien. Je craignais qu’il ne fût pris ici.

SY. Et il était dans une belle colère.

DE. (405) Pourquoi donc ?

SY. Il a querellé son frère au milieu de la place, à propos de cette chanteuse.

DE. Vraiment ?

SY. Oh ! il lui a bien dit son fait. Comme on comptait l’argent, mon homme est arrivé tout à coup, et d’abord : « O Eschine, s’est-il écrié, c’est vous qui faites de pareilles infamies, Qui ne craignez pas (410) de déshonorer notre famille ? »

DE. Ah ! j’en pleure de joie.

SY. « Ce n’est pas votre argent que vous gaspillez, c’est votre honneur. »

DE. Que les dieux le conservent ! j’espère qu’il ressemblera à ses aïeux.