exporter en ce pays ; que le vaisseau est frété. Je le sais. C’est pour cela que tu hésites. Mais pourtant j’espère que nous terminerons à ton retour.
SA. Si je songe a partir… (à part) C’est fait de moi, en vérité. Ils ont compté là-dessus lorsqu’ils se sont ainsi avancés.
SY. (à part) Il a peur. Je lui ai mis la puce à l’oreille.
SA. (à part) Oh ! les traîtres ! Voyez un peu (230) comme il me prend au pied levé ! J’ai là une cargaison de femmes et autres objets pour l’île de Chypre ; si je manque la foire, c’est une perte énorme pour moi. D’un autre côté, si je laisse là cette affaire, adieu mes gens. Quand je reviendrai, serviteur ; on sera tout refroidi. « Ah ! vous voilà ! c’est maintenant que vous venez ? (235) Pourquoi cette indifférence ? Où étiez-vous ? » En sorte qu’il vaut mieux perdre que d’attendre ici je ne sais combien de temps, ou de poursuivre après mon retour.
SY. As-tu fini de calculer tout ce que tu espères gagner ?
SA. Est ce là une action, un procédé digne d’Eschine ? Vouloir m’enlever de force mon esclave ?
SY. (240) (à part) Il faiblit. (haut) Je n’ai plus qu’une seule chose à te dire : vois si elle est de ton goût. Plutôt que de t’exposer à tout perdre en voulant tout avoir, Sannion, partage le différend par moitié. Il tâchera de te trouver dix mines quelque part.
SA. Faut-il être malheureux ! Je risque maintenant de perdre encore le capital. (245) Hélas ! n’a-t-il point de honte ? Je n’ai plus une seule dent qui tienne ; ma tête n’est que plaie et bosse à force d’avoir reçu des coups de poing, et il voudrait en outre me frustrer. Je ne pars plus
SY. Comme il te plaira. Tu n’as plus rien à me dire avant que je m’en aille ?
SA. Mais si, mais si, mon cher Syrus ; quoi qu’il en soit de ce qui s’est passé, plutôt que d’avoir un procès, (250) je ne demande que de recouvrer au moins ce que j’ai déboursé pour l’acheter. Je sais que tu n’as pas eu jusqu’ici de preuves de mon amitié ; mais tu verras que je ne suis pas un ingrat.
SY. J’y ferai mon possible. Mais j’aperçois Ctésiphon ; il est tout joyeux d’avoir sa maîtresse.
SA. Et la grâce que je te demande ?
SY. Attends un moment.
SCENE IV (Ctésiphon, Syrus)
CT. (255) Un service, de quelque part qu’il vienne, est toujours bien reçu, s’il vient à propos. Mais on est doublement heureux, en vérité, lorsqu’on en est redevable à celui de qui on avait droit de l’attendre. O mon frère, mon frère ! à quoi bon faire ton éloge ? Je le sais trop bien, je ne trouverai jamais d’expression si louangeuse qui ne soit au-dessous de ton mérite. Aussi considéré-je comme un bonheur unique entre tous d’être le seul homme au monde (260) qui ait un frère aussi heureusement doué des plus brillantes qualités.
SY. Ctésiphon !
CT. Ha, Syrus ! où est Eschine ?
SY. Là, au logis, qui vous attend.
CT. Ah !
SY. Qu’avez-vous ?
CT. Ce que j’ai ? C’est à lui, Syrus, que je dois la vie ; le brave garçon, qui n’a reculé devant aucun sacrifice pour me servir !
Injures, médisances, il a tout pris sur lui, tout, jusqu’à mon amour et ma faute. (265) Peut-on faire plus ? Mais qu’y a-t-il ? On a ouvert la porte.
SY. Restez, restez ; c’est lui qui sort.