Page:Plaute, Térence, Sénèque - Théâtre complet, Nisard.djvu/64

Cette page n’a pas encore été corrigée
26
PLAUTE.

cassées, et si l’on vous met à la porte sans avoir dîné. Car cet autre Sosie, ce moi qui suis là dedans, m’a traité d’une cruelle manière.

Bléph. C’est merveilleux, certainement ; mais hâtons-nous, car j’aperçois Amphitryon qui nous attend, et j’entends crier mon estomac vide.

Amph., continuant. Mais où vais-je chercher des exemples étrangers ? Il est arrivé, aux princes thébains de ma maison, plus que des prodiges. Cet illustre Cadmus, en cherchant Europe sa sœur, attaqua et défit un monstre terrible ; et après qu’il eut semé ses dents, il en vit naître des soldats armés : tout frères qu’ils étaient, ils combattirent à outrance les uns contre les autres au moment même de leur naissance. Ce n’est pas tout ; la terre d’Épire a vu ce même prince, et son épouse, fille de la déesse Vénus, ramper, sous la forme de serpents. C’est ainsi que du haut des cieux l’a ordonné le puissant Jupiter ; telle a été la volonté du destin. Les plus grands de mes nobles aïeux, pour récompense de leurs belles actions, ont éprouvé les plus cruels malheurs. Je subis le même sort à mon tour ; j’étais destiné à souffrir les dernières disgrâces, les maux les plus cuisants, les plus douloureux, les plus insupportables…

Sos. Blépharon ?

Bléph. Qu’est-ce ?

Sos. Il y a ici quelque chose qui ne va pas bien.

Bléph. Pourquoi ?

Sos. Voyez : mon maître se promène devant la porte comme un client qui attend le moment d’entrer ; et la porte est bien fermée.

Bléph. Ce n’est rien ; il se promène pour gagner de l’appétit.

Sos. Il a pris une singulière précaution, en ce cas ; il a fermé la porte de peur que la faim ne sortît pour venir le joindre.

Bléph. Que chantes-tu là ?

Sos. Je ne chante ni je ne siffle. Tenez ; il est rêveur. Observez-le bien ; il inédite et se parle à lui-même : je veux écouter ce qu’il dit ; n’avancez pas.

Amph., à part. Je crains réellement que les dieux ne veuillent me faire expier la gloire que j’ai acquise par la défaite des ennemis. Je vois ma maison troublée par des prodiges ; et ce qui me tue, c’est que ma femme s’est déshonorée par un infâme adultère… Mais ce vol de la coupe m’étonne ; car le coffret était bien scellé… Que dis-je ?… Alcmène elle-même m’a raconté mon combat contre les Téléboëns, et contre Ptérélas. Elle m’a su dire qu’il était tombé sous mescoups… Ah ! je comprends ; c’est un tour de ce Sosie, de ce misérable qui a osé m’exclure de ma maison, m’outrager en face !

Sos. Il parle de moi et ce qu’il en dit ne me plaît pas du tout. De grâce, Blépharon, ne l’abordons pas que je n’aie entendu tout ce qu’il a sur le cœur.

Bléph. Comme tu voudras.

Amph. Si ce méchant esclave me tombe sous la main, je lui ferai voir ce que c’est que de s’attaquer à son maître, de le tromper, de le menacer !

Sos. Toute l’affaire retombera sur mes épaules ; abordons-le. Savez-vous ce proverbe….

Bléph. Je ne sais pas ce que tu veux dire ; mais j’imagine à peu près ce qui doit t’arriver de fâcheux.

Sos. L’attente et la faim, dit un vieux proverbe, font monter la bile à la tête.

Bléph. Cela est vrai. Adressons-lui d’ici la parole, et gaiement. (Haut) Amphitryon !