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auditeurs sur des matières qui leur sont ainsi étrangères font la partie belle à qui veut en parler, et, au sujet des dieux, nous savons où nous en sommes. Mais, pour saisir plus clairement ma pensée, prenez garde à l’observation que voici. Ce que nous disons tous, tant que nous sommes, est forcément, n’est-ce pas, une imitation, une image. Considérons maintenant la fabrication des images que les peintres font des corps divins et humains, au point de vue de la facilité et de la difficulté qu’ils ont à les imiter de façon à contenter le spectateur, et nous nous rendrons compte que, si un peintre qui peint la terre, des montagnes, des rivières, des forêts et le ciel tout entier avec ce qu’il renferme et ce qui s’y meut, est capable d’en atteindre si peu que ce soit la ressemblance, nous sommes aussitôt satisfaits. En outre, comme nous n’avons des choses de ce genre aucune connaissance précise, nous n’en examinons pas, nous n’en discutons pas les représentations ; nous nous contentons d’esquisses vagues et trompeuses. Au contraire, quand un peintre entreprend de représenter nos corps, nous percevons vivement le défaut de son dessin, parce que nous avons l’habitude de nous voir tous les jours et nous devenons des juges sévères pour celui qui ne reproduit pas entièrement tous les traits de ressemblance. C’est ce qui arrive aussi nécessairement à l’égard des discours. Quand il s’agit des choses célestes et divines, il nous suffit qu’on en parle avec quelque vraisemblance ; mais pour les choses mortelles et humaines, nous les examinons avec rigueur. Si donc, dans ce que je vais dire à l’impromptu, je ne réussis pas à rendre parfaitement ce qui convient, vous devez me le pardonner ; car il faut songer que les choses mortelles ne sont pas aisées, mais difficiles à représenter selon l’attente des spectateurs. C’est justement pour vous rappeler cela et pour demander une indulgence, non pas inférieure, mais plus grande pour l’exposition que j’ai à faire, que j’ai dit tout cela, Socrate. Si donc il vous paraît que j’ai droit à cette faveur, accordez-la-moi de bonne grâce.

SOCRATE

Et pourquoi, Critias, hésiterions-nous à te l’accorder ? Accordons aussi la même grâce au troisième orateur, à Hermocrate. Car il est clair qu’un peu plus tard, quand il lui faudra prendre la parole, il fera la même demande que vous. Afin donc qu’il imagine un autre préambule et ne soit pas forcé d’employer le même, qu’il parle avec l’assurance que notre indulgence lui est acquise pour ce moment-là. Au reste, mon cher Critias, je t’avertis des dispositions de ton public. Le poète qui t’a précédé a obtenu auprès de lui un merveilleux succès [2] . Aussi tu auras besoin d’une indulgence sans réserve pour pouvoir prendre sa succession.