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que cela même en vue de quoi elle est façonnée ne lui appartient pas et qu’elle est comme le fantôme toujours changeant d’une autre chose, doit, pour cette raison, naître dans autre chose et s’attacher ainsi en quelque manière à l’existence, sous peine de n’être rien du tout, tandis que l’être réel peut compter sur le secours du raisonnement exact et vrai, lequel établit que, tant que les deux choses sont différentes, aucune des deux ne pouvant jamais naître dans l’autre, elles ne deviendront pas à la fois une seule et même chose et deux choses. Prenez donc ceci pour le résumé de la doctrine que j’ai établie d’après mon propre jugement : l’être, le lieu, la génération sont trois principes distincts et antérieurs à la formation du monde.

Or, la nourrice de ce qui naît, humectée et enflammée, recevant les formes de la terre et de l’air et subissant toutes les modifications qui s’ensuivent, apparaissait sous des aspects de toute espèce. Et parce que les forces dont elle était remplie n’étaient ni égales ni en équilibre, elle n’était en équilibre en aucune de ses parties ; mais ballottée inégalement dans tous les sens, elle était secouée par ces forces et leur rendait secousse pour secousse. Emportés sans cesse les uns dans un sens, les autres dans l’autre, les objets ainsi remués se séparaient, de même que, lorsqu’on agite des grains et qu’on les vanne avec des cribles et des instruments propres à nettoyer le blé, ce qui est épais et pesant va d’un côté, ce qui est mince et léger est emporté d’un autre, où il se tasse. Il en était alors de même des quatre genres secoués par leur réceptacle ; remué lui-même comme un crible, il séparait très loin les uns des autres les plus dissemblables, et réunissait autant que possible sur le même point les plus semblables ; aussi occupaient-ils déjà des places différentes avant que le tout formé d’eux eût été ordonné. Jusqu’à ce moment, tous ces éléments ne connaissaient ni raison ni mesure. Lorsque Dieu entreprit d’ordonner le tout, au début, le feu, l’eau, la terre et l’air portaient des traces de leur propre nature, mais ils étaient tout à fait dans l’état où tout se trouve naturellement en l’absence de Dieu. C’est dans cet état qu’il les prit, et il commença par leur donner une configuration distincte au moyen des idées et des nombres. Qu’il les ait tirés de leur désordre pour les assembler de la manière la plus belle et la meilleure possible, c’est là le principe qui doit nous guider constamment dans toute notre exposition. Ce qu’il me faut essayer maintenant, c’est de vous faire voir la structure et l’origine de chacun de ces éléments par une explication nouvelle ; mais, comme vous êtes familiers avec les méthodes scientifiques que mon exposition requiert, vous me suivrez.

D’abord il est évident pour tout le monde que le feu, la terre, l’eau et l’air sont des corps. Or, le genre cor-