maîtres de leur propre cité ? La vérité, que tu prétends chercher, Socrate, la voici : le luxe, l’incontinence et la liberté, quand ils sont soutenus par la force constituent la vertu et le bonheur ; le reste, toutes ces belles idées, ces conventions contraires à la nature, ne sont que niaiseries et néant.
XLVII. — La franchise de ton exposé, Calliclès, dénote une belle crânerie : tu dis nettement, toi, ce que les autres pensent, mais ne veulent pas dire. Je te prie donc de ne rien relâcher de ton intransigeance, afin que nous puissions nous faire une idée vraiment claire de la façon dont il faut vivre. Et dis‑moi : tu soutiens qu’il ne faut point gourmander ses désirs, si l’on veut être tel qu’on doit être, mais les laisser grandir autant que possible et leur ménager par tous les moyens la satisfaction qu’ils demandent et que c’est en cela que consiste la vertu ?
Je le soutiens en effet.
On a donc tort de dire que ceux qui n’ont aucun besoin sont heureux.
Oui, car, à ce compte, les pierres et les morts seraient très heureux.
Cependant, même à la manière dont tu la dépeins, la vie est une chose bien étrange. Au fait, je me demande si Euripide [1] n’a pas dit la vérité dans le passage que voici :
- « Qui sait si vivre n’est pas mourir,’’
- Et si mourir n’est pas vivre ? » ‘’
Et il est possible que réellement nous soyons morts, comme je l’ai entendu dire à un savant homme [2] , qui prétendait que notre vie actuelle est une mort, que notre corps est un tombeau et que cette partie de l’âme où résident les passions est de nature à changer de sentiment et à passer d’une extrémité à l’autre. Cette même partie de l’âme, un spirituel auteur de mythes, un Sicilien [3], je crois, ou un Italien, jouant sur les mots, l’a appelée tonneau, à cause de sa docilité et de sa crédulité 30 ; il a appelé de même les insensés non initiés et cette partie de leur âme où sont les passions, partie déréglée, incapable de rien garder, il l’a assimilée à un tonneau percé, à cause de sa nature insatiable. Au rebours de toi, Calliclès, cet homme nous montre que, parmi les habitants de l’Hadès — 493b-494b