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CALLICLÈS

491d-492c Que veux‑tu dire ?

SOCRATE

Je veux dire que chacun se commande lui-même. Ou bien est‑ce inutile de se commander soi-même et suffit‑il de commander les autres ?

CALLICLÈS

Qu’entends‑tu par se commander soi-même ?

SOCRATE

Rien de compliqué ; j’entends, comme le vulgaire, être tempérant et maître de soi et commander en soi aux plai­sirs et aux passions.

CALLICLÈS

Que tu es plaisant ! Ce sont les imbéciles que tu appelles tempérants.

SOCRATE

Comment cela ! qui ne voit que ce n’est pas d’eux que je parle ?

CALLICLÈS

C’est d’eux très certainement, Socrate. Comment en effet un homme pourrait‑il être heureux, s’il est esclave de quel­qu’un. Mais voici ce qui est beau et juste suivant la nature, je te le dis en toute franchise, c’est que, pour bien vivre, il faut laisser prendre à ses passions tout l’accroissement possible, au lieu de les réprimer, et, quand elles ont atteint toute leur force, être capable de leur donner satisfaction par son courage et son intelligence et de remplir tous ses désirs à mesure qu’ils éclosent. Mais cela n’est pas, je suppose, à la portée du vulgaire. De là vient qu’il décrie les gens qui en sont capables, parce qu’il a honte de lui-même et veut cacher sa propre impuissance. Il dit que l’intempérance est une chose laide, essayant par là d’asservir ceux qui sont mieux doués par la nature, et, ne pouvant lui-même fournir à ses passions de quoi les contenter, il fait l’éloge de la tempérance et de la justice à cause de sa propre lâcheté. Car pour ceux qui ont eu la chance de naître fils de roi, ou que la nature a faits capables de conquérir un commandement, une tyran­nie, une souveraineté, peut‑il y avoir véritablement quelque chose de plus honteux et de plus funeste que la tempé­rance ? Tandis qu’il leur est loisible de jouir des biens de la vie sans que personne les en empêche, ils s’imposeraient eux‑mêmes pour maîtres la loi, les propos, les censures de la foule ! Et comment ne seraient‑ils pas malheureux du fait de cette prétendue beauté de la justice et de la tem­pérance, puisqu’ils ne pourraient rien donner de plus à leurs amis qu’à leurs ennemis, et cela, quand ils sont les 492c-493b