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indigne d’un homme libre, qui emploie pour séduire les formes, les couleurs, le poli, les vêtements et qui fait qu’en recherchant une beauté étrangère, on néglige la beauté naturelle que donne la gymnastique. Pour être bref, je te dirai dans le langage des géomètres (peut‑être alors me comprendras‑tu mieux) que ce que la toilette est à la gymnastique, la cuisine l’est à la médecine, ou plutôt que ce que la toilette est à la gymnastique, la sophistique l’est à la législation, et que ce que la cuisine est à la médecine, la rhétorique l’est à la justice. Telles sont, je le répète, les différences naturelles de ces choses ; mais comme elles sont voisines, sophistes et orateurs se confondent pêle-­mêle sur le même terrain, autour des mêmes sujets, et ne savent pas eux‑mêmes quel est au vrai leur emploi, et les autres hommes ne le savent pas davantage. De fait, si l’âme ne commandait pas au corps et qu’il se gouvernât lui-même, et si l’âme n’examinait pas elle‑même et ne distinguait pas la cuisine et la médecine, et que le corps seul en jugeât en les appréciant sur les plaisirs qui lui en reviendraient, on verrait souvent le chaos dont parle Anaxagore, mon cher Polos, (car c’est là une chose que tu connais) : « toutes les choses seraient confondues pêle-­mêle 15 », et l’on ne distinguerait pas celles qui regardent la médecine, la santé et la cuisine. Tu as donc entendu ce que je crois qu’est la rhétorique ; elle correspond pour l’âme à ce qu’est la cuisine pour le corps. Peut‑être est‑ce une inconséquence, à moi qui t’ai inter­dit les longs discours, de m’être étendu si longuement. Je mérite pourtant d’être excusé ; car, quand j’ai parlé brièvement, tu ne m’as pas compris : tu ne savais rien tirer de mes réponses et il fallait te donner des explications. Si donc à mon tour, je ne vois pas clair dans tes réponses, tu pourras t’étendre, toi aussi. Si, au contraire, je les comprends, laisse‑moi m’en contenter, c’est mon droit. Et maintenant, si tu peux faire quelque chose de ma réponse, à ton aise.

POLOS

XXI. — Que dis‑tu donc ? Tu prétends que la rhéto­rique est flatterie ?

SOCRATE

J’ai dit seulement : une partie de la flatterie, Eh quoi ! Polos, à ton âge, tu manques déjà de mémoire ! Que feras-­tu plus tard ?

POLOS

Alors, tu crois que les bons orateurs sont regardés dans les cités comme des flatteurs et, comme tels, peu considérés ?

SOCRATE

Est‑ce une question que tu me poses ou un discours que tu entames ?

POLOS

466b-466e